Alors que l’Islande est devenu le premier état à interdire les inégalités salariales entre les femmes et les hommes, la situation en France reste problématique. Mais cette mesure peut-elle être efficacement appliquée ?
Depuis le 1er janvier 2018, les inégalités de salaire entre les femmes et les hommes sont illégales en Islande, qui devient par la même occasion le premier pays à adopter de telles mesures. Et si l’île nordique en a presque fait sa maxime, une question revient régulièrement: à quand une législation similaire en France ?
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L’Islande est le pays de l’égalité des sexes, comme le prouve sa première place au classement établi par le Forum économique mondial. À la différence de l’Hexagone, où les chiffres sur les différences de salaire ne sont pas très flatteurs. En moyenne, les femmes françaises gagnent environ 25% de moins que les hommes. Sachant que celles-ci occupent également la grande majorité des emplois à mi-temps (environ 80%), la réalité est encore pire en terme de disparités, comme le montre Le Coin du Salarié.
En 2016, le collectif Les Glorieuses a convié les salariées françaises à arrêter de travailler à 16h34, heure théorique à partir de laquelle – si elles étaient payées mensuellement comme la moyenne des hommes – celles-ci travaillaient « bénévolement » jusqu’à la fin de l’année. Une initiative symbolique qui avait notamment reçu le soutien de la ministre du Droit des femmes de l’époque, Laurence Rossignol. Pour tenter de remédier à ce terrible constat, comment s’inspirer de nos voisins islandais ? Un tel système est-il transposable (actuellement) en France ?
Une loi historique méconnue
Le principe de cette mesure en Islande est relativement simple: si les écarts salariaux ne sont pas justifiés, le label en question n’est pas accordé. Et l’entreprise aura une amende. Rien de révolutionnaire en soi, puisqu’il s’agit plus d’une véritable application de lois plus anciennes, qu’une nouvelle réglementation à proprement parler.
Car comme le souligne très justement Alexandre Delaigue (professeur d’économie) dans une tribune pour France Info, l’inégalité salariale hommes-femmes est illégale au pays des vikings depuis 1961, et depuis 1972 en France. La vraie nouveauté réside donc dans la mise en place d’une pénalisation en cas de non-respect de la loi. Les employeurs doivent rendre un audit annuel, dans lequel toutes les différences salariales seront précisément justifiées par la nature du travail effectué.
En France, la fonction publique est basée sur ce modèle depuis plusieurs années. Le montant de la rémunération est établi à partir d’une « grille des salaires », fondée sur des critères tels que l’ancienneté, le statut, etc. En théorie, il n’y a donc plus aucune discrimination salariale.
Cependant, il demeure très difficile en France de prouver une inégalité devant le Conseil de Prud’hommes. Cette loi est donc -jusqu’à présent- très peu respectée, comme l’explique cet article de l’Express. Remise à jour en 2014, elle souffre toujours d’un grande méconnaissance de la part des citoyens français, en raison notamment d’un manque de communication criant.
Une histoire de gros sous
Pourtant, ces inégalités coûtent une fortune annuelle, estimée à 62 milliards par la fondation Concorde. Un manque à gagner qui nuit avant tout aux femmes… mais également à l’État, puisque celui-ci perd des gains potentiels (manque à gagner sur les impôts). De plus, si les femmes gagnaient cet argent, qui leur revient de droit, une partie de celui-ci serait dépensée. Et viendrait renforcer la santé économique du pays, sans pénaliser la croissance annuelle (comme c’est actuellement le cas).
Mais l’argument principal, de ceux qui ne veulent pas vraiment faire évoluer la situation actuelle, est également économique. Si les femmes étaient en moyenne payées comme des hommes, l’ensemble des masses salariales en France devraient augmenter de plus de 50 milliards d’euros. Seulement, cette somme serait absorbée à moyen terme, à savoir environ quatre ou cinq ans.
En 2016, France Stratégie avait transmis un rapport édifiant à celle qui était alors ministre du Travail, Myriam El-Khomri. Celui-ci démontrait que l’ensemble des discriminations à l’emploi, dont est souvent victime la gente féminine, représente un manque à gagner de l’ordre de 3 à 14 % du produit intérieur brut (PIB).
Une mesure trop centrée sur l’inégalité salariale ?
Mais le système islandais a ses limites: si un employé, homme ou femme, demande une augmentation, il faut octroyer le même avantage à tout le monde pour mettre les salaires au même niveau. Une mesure qui demande un budget important, et créé des inégalités entre les entreprises elles-mêmes: il va être plus compliqué d’appliquer cette réglementation pour les PME et les start-up, que pour les grandes entreprises.
Les conditions du marché vont également rentrer en jeu. Pour recruter un employé qui demande un salaire supérieur à ceux occupant un même poste, il faudra augmenter les salariés déjà en place. Et cette loi pourrait donc s’accompagner d’une forte réticence à l’embauche.
De plus, justifier qu’il n’y a pas d’inégalités inclut la nécessité de justifier les écarts de salaire par des éléments parfois non mesurables (comme la qualité d’une tâche effectuée), et pas uniquement la productivité d’un employé. Il est également nécessaire de définir une équité en fonction des métiers. Un équilibre qui semble impossible à établir, selon les professions. Par exemple, un jardinier, métier principalement réservé aux hommes, doit-il être plus payé qu’une sage-femme, profession principalement de femmes ?
La transparence totale, pour le meilleur et pour le pire
Une notion supplémentaire s’avère absolument nécessaire pour assurer la réussite de cette législation: la transparence totale. Or, dans un pays comme la France, la rémunération est bien souvent un tabou sociétal. Et cette transparence peut conduire, à terme, à rentrer dans des critères et des cases bien établis. Et engendrer une forme de démotivation chronique pour les employés.
Ces derniers vont également se concentrer principalement sur les critères qui déterminent leur travail (et leur rémunération), et pas forcément sur le travail en lui-même. Un raisonnement qui conduit parfois à encore plus d’inégalités, un peu comme le monde du football.
La loi islandaise part d’un postulat de base: la notion de transparence totale est entièrement liée aux racines des disparités hommes-femmes en terme de rémunération. Or d’autres critères entrent en jeu, à commencer par le choix de carrière et la maternité. Très souvent une mère fait bien plus de sacrifices professionnels à la naissance d’un enfant que le père.
Une prise de conscience sur la transparence des salaires est donc nécessaire, en plus d’être relativement facile à mettre en place. Mais celle-ci risque de bloquer certaines démarches personnelles, et peut s’apparenter à la fin de la « méritocratie ». Ces augmentations, une fois devenues plus difficiles à accorder, ne reviennent-elles pas à donner encore plus de pouvoir aux patrons ?
« Une grande cause nationale »
Cette mesure a toutefois des chances de fonctionner en Islande, de par son histoire économique et sa faible population (330 000 habitants). Mais elle n’est pas forcément transposable – dans les mêmes conditions – dans des pays plus importants, à commencer par la France.
De plus, un tel système ne pourra mettre fin aux autres formes d’inégalités professionnelles. Lors de promotions, un employeur pourra toujours choisir s’il le souhaite un homme plus qu’une femme. Lors d’un entretien d’embauche, un employeur pourra toujours choisir s’il le souhaite un homme plus qu’une femme. Tant que celui-ci a un salaire égal à ceux d’un poste similaire. L’égalité salariale est alors toujours respectée, mais ce n’est pas la fin de l’injustice au travail envers les femmes. Il y aura toujours des inégalités, même indépendamment du genre des employés.
Actuellement, la législation française stipule que « tout employeur est tenu d’assurer, pour le même travail, l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes », comme l’expliquait Jean-Baptiste Marteau sur France Info. Pourtant, « seules 116 entreprises ont été sanctionnées depuis le début de cette loi », déplore-t-il. Reste désormais à voir la position qu’adoptera Emmanuel Macron sur le sujet, lui qui a fait de l’égalité homme-femme l’une des grandes causes nationales de son mandat.
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