Dans un rapport d’enquête confidentiel révélé ce matin par l’OIP (Observatoire international des prisons), l’Inspection des services pénitentiaires fait état d’un système de maltraitance de détenus découvert au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, dans l’Isère. Pendant près d’un an et demi, plusieurs agents ont fait régner la terreur et violé régulièrement la dignité des personnes détenues. Des actes commis avec la complaisance et le soutien de la direction, selon le rapport.
Une violence physique disproportionnée, des fouilles intégrales abusives, du chantage et des humiliations, nombreux sont les actes de maltraitance perpétrés par des surveillants et recensés par l’Inspection des services pénitentiaires (ISP) dans un rapport d’enquête confidentiel, publié en mars 2011, que l’Observatoire international des prisons (OIP) vient de révéler. Les faits, dénoncés dans ce document de 150 pages, ont été commis entre avril 2009 et juillet 2010 au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier dans l’Isère. Au total, treize agents pénitentiaires parmi lesquels quatre membres de la direction sont accusés d’“atteintes graves et répétées à la dignité des personnes détenues”.
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Violences physiques et humiliation
Le rapport de l’ISP atteste notamment de “violences physiques illégitimes”. Tel est le cas d’Ahmed B. Ce détenu explique que le 1er juillet 2009, trois surveillants sont entrés dans sa cellule après qu’il a adressé une réflexion n’ayant pas plu à l’un d’eux. Conséquence, l’un des agents lui a « fait des prises comme un judoka. Il posait son pouce sur mon nez, me serrait au niveau du cou. Il m’a porté plusieurs coups au niveau des côtes, dans le dos. (…) Par la suite, [les surveillants sont] venus filmer avec la caméra. (…) J’ai eu des coups de poing, des coups de pied ». Les agents affirment être intervenus parce que Ahmed avait tenté de porter un coup au surveillant qui lui apportait son repas. Ils ajoutent que le détenu s’est frappé la tête contre les murs après leur première intervention en hurlant et en menaçant le personnel, ce qui a justifié une seconde intervention. Cette version a été démentie par un certificat médical, établi par le médecin de la prison, qui a confirmé que Ahmed “était bien abîmé” et que ses blessures ne pouvaient “être expliquées par des coups [qu’il] se serait porté à lui même, ni par des gestes de maîtrise”.
Un autre exemple concerne Rachid F. victime d’une déchirure à la main et de plusieurs contusions et hématomes sur le corps et le visage. Le 2 décembre 2009, jour de son arrivée au centre pénitentiaire, trois personnels interviennent dans le local de fouille pour le maîtriser, alors que le rapport de l’ISP a établit que Rachid ne manifestait aucune “résistance par la violence ou par inertie physique aux ordres donnés”. “Ils ont mis les menottes, en même temps il y en avait un qui me mettait le pied sur la tête. (…) On m’a mis une clef de porte dans la gorge”, explique-t-il.
Mohamed M. a quant à lui reçu un coup de tête ayant causé une fracture du nez et un traumatisme crânien, de la part d’un surveillant le 3 février 2010 alors qu’il « s’impatientait pour aller à une activité« . Le surveillant a été condamné le 13 mars 2012 par le tribunal correctionnel de Vienne pour « violence par une personne chargée de mission de service public suivie d’incapacité n’excédant pas huit jours » à une peine d’emprisonnement de trois mois avec sursis.
Le rapport d’enquête révèle également des pratiques humiliantes et courantes au quartier disciplinaire, lui-même décrit comme une “zone de non-droit” par un surveillant : détenus laissés en caleçon dans la cour de promenade, d’autres privés de matelas, de draps, de tabac et de promenades. « Il y avait des bruits qui me remontaient relatifs à des violences illégitimes ou à des brimades« , confie un personnel ayant travaillé au sein de l’établissement. De nombreux détenus ont aussi dénoncé des abus concernant le « centre de détention » sans que les témoignages soient tous vérifiés par l’ISP : chantage, pression et rétorsion à l’encontre de ceux qui refusaient de jouer le rôle d’informateurs pour le compte des deux cadres responsables de ce centre.
Une direction très tolérante avec ses agents
L’Inspection des services pénitentiaires a rapidement compris lors de ses auditions que la direction de l’établissement avait eu “un rôle et une responsabilité particulièrement importants” dans la “perte de repères déontologiques” de quelques agents. Son rapport révèle la tolérance de la direction (composée de trois membres) à l’égard des violences et même de sa volonté de dissimuler les manquements des agents. Ainsi, l’un des directeurs se voit reprocher de ne pas avoir informé le parquet d’incidents graves. Depuis, grâce à plusieurs plaintes déposées par des détenus et des courriers envoyés par l’Observatoire international des prisons, au moins sept situations ont été portées à la connaissance du tribunal de grande instance de Vienne. D’après les informations recueillies par l’OIP, un seul dossier a pour le moment abouti à une information judiciaire et à la condamnation d’un surveillant à trois mois de prison avec sursis.
En 2009-2010, plusieurs détenus ont aussi adressé des courriers à l’OIP pour dénoncer les dysfonctionnements au centre pénitentiaire. L’un des directeurs n’a pas hésité à déclarer à l’ISP avoir été « surpris » en septembre 2009 de constater que ces courriers « n’étaient pas contrôlés » et a demandé « au vaguemestre que tous les départs de courriers des détenus à l’OIP [lui] soient photocopiés et adressés ». L’Inspection a également révélé des destructions de preuves (des bandes vidéo ont par exemple été « malencontreusement » détruites), “la falsification des comptes-rendus” et des pressions entre agents pour que soient rédigés de faux témoignages. L’OIP dénonce également le manque d’action des autorités de contrôle telles que la Commission nationale de déontologie de la sécurité qui « n’a pas fait le choix de diligenter sa propre enquête, alors qu’elle dispose de larges prérogatives d’investigations« .
Des sanctions symboliques
Alors que l’Inspection a recommandé des sanctions minimales pour les agents mis en cause par son enquête, la Direction de l’administration pénitentiaire a choisi de prononcer des sanctions encore plus légères. L’ISP préconisait notamment que neuf des treize agents reçoivent une lettre d’observation, huit en recevront une en sachant que cette mesure n’apparaît pas au dossier des personnels concernés. A l’encontre du chef de détention pour lequel était préconisé un renvoi devant le Conseil de discipline et une absence de réaffectation à ce poste, il a retrouvé sa fonction dans le même centre pénitentiaire à la fin du mois de novembre 2012. Pour l’un des directeurs qui devait aussi comparaître devant le conseil de discipline, il a reçu une simple lettre d’observation alors qu’il lui était reproché “des propos provocateurs” et des “traitements dégradants”. Pourquoi la Direction de l’administration pénitentiaire a-t-elle fait preuve d’un telle légèreté à l’encontre du personnel mis en cause? A l’heure où nous écrivons ces lignes, la Direction n’a toujours pas répondu à cette question.
Aujourd’hui, la situation du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier n’est guère meilleure. Le 2 avril dernier, le chef de détention (réintégré à son poste fin 2012) et deux autres agents, déjà mis en cause par le rapport de l’ISP, ont été placés en garde à vue aux côtés de quatre autres personnels gradés pour de nouveaux faits dont des mauvais traitements à l’encontre d’un détenu, selon l’OIP.
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