Gaz poivré, harcèlement moral, confiscation et destruction de leurs affaires et de leur nourriture… A Calais, les violences policières sont quotidiennes pour forcer les derniers migrants de la « Jungle » à quitter la région. Human Rights Watch dénonce ces abus dans un rapport accablant, publié le 26 juillet.
Yeakob, un migrant Éthiopien de 29 ans, dort tranquillement sur le bord d’une route. Il est installé sur son maigre sac de couchage, les yeux fermés. D’un coup, un policier l’asperge avec son spray au poivre, dans le visage et les yeux. Il lui confisque son lit de fortune et jette ses quelques provisions…. Ce genre de violences policières contre les migrants, Yeakob les subit quotidiennement à Calais. « Le but est de les pousser à quitter la région », affirme Human Rights Whatch, qui publie mercredi 26 juillet un rapport très alarmant sur les violences policières, intitulé « C’est comme vivre en enfer ».
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Depuis le démantèlement de la « Jungle », il y a neuf mois, entre 400 et 500 migrants et demandeurs d’asile vivent toujours aux alentours de Calais. Faute de places, ils n’ont pas pu rejoindre un hébergement d’urgence et errent donc ici, au grand dam des autorités locales. Jour et nuit, ces migrants subissent des « traitements inhumains », affirment l’ONG indépendante, qui a recueilli le témoignage d’une soixantaine d’entre eux pour établir cette longue enquête de 47 pages.
Vue aérienne de la jungle de Calais le 17 janvier 2016 (Photo: Flickr / malachybrowne)
Les migrants gazés dans la nuit
La plupart du temps, les policiers -notamment des CRS- utilisent des sprays au gaz poivre pendant la nuit. « Les policiers s’approchent de nous pendant que nous dormons et nous aspergent de gaz. Ils le pulvérisent sur tout notre visage, dans nos yeux », précise le jeune Nebay, un Érythréen de 17 ans, interrogé par l’ONG. Les gaz sont tellement fréquents que certains ne se souviennent même plus combien de fois ils en ont reçu : « C’est normal pour nous. Ça fait partie de notre vie« , avoue ainsi un autre jeune.
Pire, des CRS ne se donnent même plus la peine de sortir de leur véhicule : « Ils nous ont aspergés depuis la camionnette. Ils n’ont pas dit un mot, ils ont juste sorti les sprays », relate un Éthiopien de 17 ans.
Les CRS menacent aussi les bénévoles
Les forces de l’ordre s’attaquent ensuite à leurs repas et à leurs provisions : nourriture, eau, vêtements et sac de couchage sont souvent inutilisables après avoir été touchés par le gaz. Selon Human Rights Watch, ils n’hésitent pas non plus à disperser la foule lors des repas distribués par les aides humanitaires : « J’ai vu deux policiers en train d’asperger [un garçon] dans les yeux. Il a fait quelques pas avant de tomber par terre, sur les genoux », raconte ainsi l’une des bénévoles.
Les abus sont tels que même les travailleurs humanitaires sont parfois visés par les sprays et menacés par les CRS : « J’ai été moi-même aspergé il y a deux jours… Je ne faisais que distribuer de l’eau », témoigne ainsi l’un des bénévoles auprès l’ONG.
La peur du retour de la « Jungle »
L’objectif des autorités municipales est de les pousser à bout, « probablement dans le but de les pousser à quitter Calais », affirme l’ONG. Ceux-ci craignent de voir se construire une « Jungle n°2 », un camp qu’ils considéraient selon l’ONG « comme une véritable plaie visuelle », « un bidonville sordide et tentaculaire », devenu le « symbole de la honte de l’Europe » pour leur incapacité à trouver une solution pour gérer le flux de migration. Pourtant, Vincent Berton, le sous-préfet de Calais, nie l’utilisation des sprays au gaz poivre par les policiers et un recours à la force de façon disproportionnée. « Ce sont des allégations, des déclarations de personnes, qui ne sont pas basées sur des faits », a-t-il déclaré à Human Rights Watch.
« Non seulement ils rabaissent leur profession, mais ils portent atteinte à des personnes, dont ils ont juré de défendre les droits », dénonce ainsi Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch. Le gaz poivre est en effet un agent chimique dangereux, utilisé pour maîtriser des personnes aux comportements violents. Il peut causer des brûlures, des abrasions des yeux, voire même des perte de conscience, selon une étude de 1999 du North Carolina Medical Journal. « Vous pleurez. Vous avez très chaud au visage. Votre gorge est contractée. Vous ne pouvez plus respirer », décrit une victime.
De son côté, l’organisation Utopia 56 fait même un parallèle avec une forme de « harcèlement » : « A partir d’un certain point, ça peut vous briser mentalement. Vous finissez par vous sentir comme un animal », juge Sarah Arrom d’Utopia 56, dans le rapport.
Un rapport qui ne sera pas pris en compte ?
Ils appellent donc les autorités municipales et départementales, ainsi que le ministère de l’Intérieur, d’interdire aux policiers, notamment aux CRS, d’avoir recours à du gaz poivre ou autre usage de la force, devant une personne « pacifique ». Ils demandent aussi au gouvernement français de remplir ses obligations d’accueil de réfugiés, établies par la directive européenne, en créant des hébergements d’urgence pour tous.
Pourtant ce genre d’appel n’a jamais été pris au mot par le gouvernement français, qui les prend même pour responsables dans la crise migratoire en Méditerranée. « Les autorités françaises restent sourdes aux multiples comptes-rendus sur ces abus », affirme l’ONG.
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