Il a bêché, semé, coupé, vissé, planté, pétri, récolté, cueilli, et même brassé. Pour son documentaire « Sandwich », Benjamin Carle a réalisé à 100% son Pan bagnat. Un bon prétexte pour parler crise du monde du travail, retour au manuel et DIY.
Dix mois. C’est le temps qu’il aura fallu à Benjamin Carle pour fabriquer lui-même tous les ingrédients nécessaires à la confection de son sandwich. Mais pas n’importe lequel : un Pan bagnat. Mais si, vous savez, ce sandwich niçois à base de tomates, de thon, d’oeuf, d’ail ou encore d’huile d’olives. « J’avais listé mes préférés et il arrivait dans le top ten », nous avoue le journaliste et auteur de Sandwich – Ou comment j’ai fabriqué mon casse-croûte tout en m’interrogeant sur les capacités manuelles des Français et en tentant de retrouver un peu de fierté personnelle. Un documentaire produit par Caméra Subjective et qui sera diffusé sur Canal+ le 28 mars prochain. De la culture du blé pour faire sa farine, au pressage d’olives, en passant par la construction d’un poulailler, tout a été fait 100% maison par ses soins. Ou presque. Car, oui, la pêche au thon « c’est vraiment pour les pros », résume Benjamin Carle qui a embarqué toute une journée sur L’Aïrosa, un chalutier basque.
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🍔 #SANDWICH 🍔 arrive enfin dans vos ̶a̶s̶s̶i̶e̶t̶t̶e̶s̶ écrans !
A déguster le 28 mars sur @canalplus 👌 pic.twitter.com/j2IqZrzhLP
— CANAL+ Docs (@CanalplusDocs) March 21, 2018
« Une façon de dire que tout va très vite »
Mais derrière la fabrication de son Pan bagnat, c’est surtout ce besoin de refaire les choses soi-même qui est analysé ici. Dans une société où tout est déjà prêt à consommer, et où deux milliards de sandwichs sont avalés chaque année, la tendance au Do It Yourself (DIY) n’a jamais été aussi forte en France. « Une façon de dire que tout va très vite et que l’on ne maitrise plus rien », résume Benjamin Carle. Un peu comme les hippies, les punks ou encore les altermondialistes il y a quelques décennies. A tout ça vient s’ajouter un monde du travail de moins en moins épanouissant, rendant certaines personnes profondément malheureuses. Pour Anne Jourdain, sociologue qui a consacré sa thèse aux artisans d’art en France, il y a comme « une impression d’incomplétude vis à vis du travail réalisé », le sentiment de n’être « qu’un maillon de la chaine », et l’idée d’une « absence de perspective d’évolution, surtout chez les femmes ». Comme si le retour au manuel venait combler cette perte de sens qui frappe le monde du travail. « Bien sûr ces contre-cultures ne sont pas nouvelles, mais aujourd’hui de plus en plus de gens retirent une plus grande satisfaction de l’usage de leurs mains », note le journaliste.
Et pour comprendre ce phénomène il nous emmène à la rencontre de Jean-Benoît Hugues, cet oliveron du sud de la France qui a quitté les Etats-Unis et le milieu des technologies il y a 20 ans déjà. Lui parle d’un profond « besoin de réparation ». Il part aussi vivre en immersion avec Ogodeï, un survivaliste qui a décidé de faire quasiment tout lui-même. Et suit un camp d’immersion dans la nature où l’on vit pendant quelques jours comme à l’âge de pierres.
« Une défiance du progrès technique » ?
Plus circonspect, le penseur libéral Gaspard Koening interviewé dans le documentaire nous met en garde contre cette tendance au DIY qui, selon lui, « s’inscrit dans une défiance du progrès technique ». « C’est cette idée que l’on va être les ingénieurs de son propre monde », « une forme d’individualisme extrême » qui représente « un luxe de pays développé qui peut passer du temps à retrouver ces pratiques que d’autres aimeraient bien dépasser en pouvant acheter des sandwichs pas chers et en faisant autre chose de leurs dix doigts. »
En 2013, déjà, Benjamin Carle s’était imposé de nombreuses contraintes. Pour son documentaire Made in France (Canal+), il avait passé un an à vivre avec des produits uniquement fabriqués en France. De la nourriture à la machine à laver, jusqu’au au coupe-ongles, il avait finalement pu être déclaré à 96,9% « made in France ».
Même s’il reconnaît que la pain était un peu sec, Benjamin Carle a ressenti une énorme « fierté » en croquant dans son Pan bagnat entièrement réalisé par lui. « Il avait le goût du succès bien sûr », sourit-il. La récolte du blé, sa transformation en farine, ou encore la réalisation de sel à partir d’eau de mer, « à toutes les étapes, le plus dur, c’était de passer de la théorie à pratique ». Benjamin compte en tout cas reprendre son potager installé sur les toits de la Maroquinerie (Paris XXème) aux beaux jours pendant que Suzette, la poule, a pris son envol pour une recyclerie de Romainville. « Elle a la belle vie… »
Sandwich, de Benjamin Carle, mercredi 28 mars à 20h55 sur Canal+
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