Dans le IXe arrondissement de Paris, Jérôme Vigliano, animateur radio sans emploi, est sur le point d’être expulsé de son logement. Depuis trois semaines, il tient un journal mural sur la façade de son immeuble, afin de raconter son histoire.
Jérôme Vigliano est entré « en résistance« . Depuis le 21 mai dernier, date à laquelle EDF a coupé son accès à l’électricité, cet homme de 46 ans tient un journal mural pour raconter son expulsion, comme le signale Yves Pagès sur son blog. Sur les murs grèges de son immeuble, à l’angle des rues de Bellefond et de Chantilly dans le IXe arrondissement de Paris, les feuilles s’accumulent, un peu gondolées par la pluie des derniers jours, mais encore sagement scotchées ou clouées les unes à côté des autres.
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« Le logement, c’est un truc qui me bousille la vie depuis vingt ans, explique Jérôme. J’en ai parlé avec plein de gens, depuis que je tiens le journal, et avant. Je ne connais personne qui résiste face à ça. Mon appartement, c’est la chose la plus importante pour moi. Sans ça, je ne peux pas vivre. »
Les problèmes de logement, Jérôme connaît. Son père décédé, sa mère sans revenus, il lui a toujours été difficile de présenter les garanties demandées par les bailleurs. Entre 1996 et 2004, il déménage treize fois : son métier d’animateur radio le conduit de CDD en CDD, puis de CDI en licenciement. « C’était très fatiguant. Il faut comprendre que pour moi, chaque déménagement est un véritable tsunami, une catastrophe« , confie Jérôme, qui se dit dans « un état nerveux fragile« .
Quand il arrive à Paris en août 2004 pour travailler au sein de la radio MFM, il se met aussitôt en recherche d’un logement. Après quatre mois de recherches et quelques centaines d’annonces épluchées, il trouve enfin un propriétaire qui accepte le Loca-pass (système d’aide à la location, qui prend en charge le dépôt de garantie et se porte garant du locataire pour une durée de 18 mois), et déménage le 31 décembre au 1, rue de Chantilly. Jérôme gagne 1500 euros par mois, et doit honorer un loyer de 850 euros pour 45m2. Il décide aussitôt de prendre un deuxième travail. Pendant sept ans, il parvient ainsi à garder la tête hors de l’eau.
Licenciement
En juin 2010, MFM est rachetée par le groupe lyonnais Espace Group. Les nouveaux propriétaires veulent déménager les studios parisiens à Lyon. A l’instar des quinze autres salariés de la radio, Jérôme refuse d’être muté, après avoir demandé de l’aide à ses employeurs pour trouver un logement à Lyon. Le 17 novembre 2010, un courrier lui signifie son licenciement économique, sans indemnités. Licenciement qu’il conteste : la prochaine audience devant les Prud’hommes est prévue pour le 24 juillet prochain
En sept ans, le loyer de l’appartement rue de Chantilly a grimpé à 1021 euros. En arrêt de travail depuis novembre 2010, Jérôme ne touche que 933 euros par mois. De plus en plus déprimé, il explique qu’il a peu à peu cessé de payer son loyer : « Un moment, on se laisse aller, on finit par ne plus payer du tout. » Début 2012, il envoie deux lettres à son propriétaire, pour expliquer sa situation. Ce dernier ne répond pas.
« C’est là que j’ai vraiment arrêté de payer. Je me suis dit : ok, ce n’est le problème de personne. Ni de mon employeur, ni de mon assistante sociale, ni du proprio. Ben ce n’est pas mon problème non plus. »
Depuis le 1er avril 2012, ses revenus ont encore baissé : il ne touche plus qu’une pension d’invalidité pour dépression chronique, qui s’élève à 561 euros/mois. « Maintenant que je suis dans le caniveau, les aides commencent à venir« , commente-t-il, sarcastique.
Un « grand clac » qui signe l’entrée en résistance
Une nuit, Jérôme entend « un grand clac » depuis son lit. L’électricité vient d’être coupée. Le lendemain, il appelle ses trois assistantes sociales pour les prévenir qu’il ne viendra plus. Estimant qu’il s’est suffisamment battu jusqu’à maintenant, il entre en résistance :
« J’ai tout essayé, j’ai fait toutes les démarches, j’ai écrit à tout le monde, à des députés, des ministres… J’ai fait mon devoir. Par principe, je ne discuterai plus avec les gens qui ne veulent pas discuter. »
La nuit suivante, il placarde des affiches sur sa porte et ses fenêtres. Chaque jour, il en ajoute, se livrant un peu plus à chaque fois. Il suspend des ampoules qui symbolisent la coupure d’électricité. Ce journal mural lui apporte « de la légèreté« , explique-t-il. Et d’ajouter avec humour : « J’ai de la chance d’être au rez-de-chaussée… »
« C’est une belle expérience, c’est au moins ça« , conclut-il en évoquant les nombreux voisins et passants qui s’arrêtent pour échanger avec lui. « Ils me disent des trucs sympas. Certains veulent me donner du pinard ou des cigarettes… Il y a beaucoup de gens qui connaissent les mêmes problèmes que moi. On parle beaucoup de logement, de la situation sociale de la France. »
Et quand la police viendra ? « Je partirai la veille. Je n’ai pas envie de les voir, ni d’agresser qui que ce soit. Après l’expulsion, j’irai dormir dans ma voiture. J’aurai ce dernier endroit pour me réfugier. »
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