Nicole Lefèvre a été la professeure principale et de français de Kylian Mbappé en sixième et cinquième. Elle se remémore les souvenirs de son ancien élève devenu champion du monde et chouchou de la nation.
En quelle classe avez-vous eu Kylian Mbappé comme élève ?
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Nicole Lefèvre – J’ai été sa professeure de français et professeure principale en sixième et cinquième, jusqu’à ce qu’il intègre Clairefontaine. Je me rappelle qu’il était toujours assis au premier rang, contre mon bureau. J’ai passé un an sans savoir qu’il pratiquait le football.
Comment était-il a l’époque ?
Kylian était un petit garçon très vif, de corps et d’esprit. Il aimait bien rigoler, il était très taquin. Une fois, lors d’une interro, un gamin de sa classe a eu son stylo plume qui fuyait. Il s’est frotté le front et j’ai vu Kylian et un camarade se retourner et rigoler. J’ai demandé ce qu’il se passait à Kylian qui a répondu : « Il a écrit son nom sur son front. » Le gamin en question a levé la tête pour comprendre de quoi il parlait. Il avait une grosse tâche sur le front. Et le petit s’appelait Tach… Kylian était très taquin.
Etait-il bon élève ?
Kylian est un enfant doté de grandes qualités littéraires : il écrit sans faute, son cahier était impeccablement tenu. Kylian m’aurait marquée même s’il n’avait pas été footballeur professionnel. Il avait une personnalité et un regard… On travaillait avec des méthodes très actives. Par exemple, on apprenait les fables de La Fontaine grâce au mime. Sa fable préférée était La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. Il imitait la grenouille dans les couloirs car on avait mis en place des brigades poétiques. Pendant deux ou trois jours, ils ont eu le droit d’ouvrir les portes des classes, de la direction et de mimer pendant trois minutes leur fable. Il était très bon en mime. Il a un visage très expressif.
Est-ce qu’il avait déjà pour ambition de devenir footballeur professionnel ?
En cinquième, il m’a dit qu’il voulait devenir footballeur pro. Il était complètement déterminé. Il jouait dans la cour avec un ballon en mousse. Il n’a jamais été en retard à cause d’un match. Sa mère me disait souvent : « Madame Lefèvre je vous le promets, il ira jusqu’au bac. » Et quand il l’a eu, elle m’a dit : « J’ai eu Kylian au téléphone, vous savez ce qu’il m’a dit ? ‘Bon maintenant maman tu peux me lâcher avec l’école' ». Il avait basculé à 100 % dans le foot.
Avait-il des difficultés à l’époque ?
Kylian fonctionne à l’affectif. C’était un gamin très pertinent, sans insolence. Mais comme il était pertinent dans ses remarques, il pouvait paraître impertinent aux yeux de certains. Un prof est un humain et s’il fait une erreur, je pense qu’il doit être capable de l’entendre de la bouche d’un gamin. J’ai le souvenir d’un jour où sa mère avait été convoquée par un autre enseignant et je suis venue car j’étais sa professeure principale. Sa mère me dit : « Oh, je suis encore convoquée, il a fait une bêtise en cours de science. » Pendant qu’elle me racontait, je voyais la tête de Kylian, l’air de dire : « C’était quand même drôle non ? » Et à vrai dire, je trouvais sa bêtise amusante. C’était une facétie. Il n’était ni violent ni grande gueule.
Avez-vous connu ses parents ?
Oui, notamment au cours d’un projet scolaire en sixième : en début d’année, je me suis aperçue que j’avais 27 élèves de ma classe provenant de 27 origines différentes. Je voulais faire en sorte que ce qui est considéré comme un handicap pour ces petits se transforme en quelque chose de positif. Pour cela, j’ai intégré les parents, même ceux qui ne parlaient pas français. On a choisi la nourriture comme thème pour se présenter les uns les autres. Puis au second trimestre, on a travaillé sur les recettes de cuisine et sur la technique de l’interview. Chacun de mes élèves a interrogé le parcours de ses parents. Ces derniers se sont sentis en confiance et au troisième trimestre, on a organisé un voyage en Grèce.
Ma direction n’était pas partante pour l’organiser car ils étaient nouveaux. Nous sommes tout de même partis grâce aux 54 parents qui se sont battus en décidant de n’exclure aucun petit du voyage. Certains n’avaient pas les moyens de payer. Contrairement à ce que j’ai pu lire, la famille de Kylian était extrêmement généreuse. A l’époque, il n’était pas connu. On grattait les fonds de tiroirs. J’ai pu compter sur quatre ou cinq parents qui ont aidé les autres financièrement. Notamment la maman de Kylian dont je me rappellerai toujours la générosité. Un jour, je lui dis : « Il y a un point noir. On ne pourra pas avoir de guide en Grèce. » Elle m’a dit : « Ah, bon je vais vous faire un chèque, c’est combien ? » « 1 300 euros. » « Ah quand même… Je vais vous le faire. » Et bien elle m’a fait le chèque en son nom propre.
Ses parents adhéraient totalement au projet. L’éducation pour le football a été assurée par son papa mais pour le reste, ce fut sa maman, pour laquelle il avait une véritable adoration. Elle n’est pas aussi stricte qu’on a pu le dire, elle a des principes et elle essayait de les inculquer à son fils. Je pense qu’elle a réussi.
Pouvait-il être turbulent ?
Je l’ai déjà disputé pour une bêtise qu’il n’a pas faite à mon cours. Même aujourd’hui je me demande si c’était vrai. C’est la fameuse histoire du blouson ; il s’était moqué du blouson d’un de ses camarades. La prof est venue me le dire. J’en ai parlé à la maman qui lui a donné cette punition. On en a reparlé toutes les deux plus tard et on était d’accord que ça avait été un peu dur.
Les parents de Kylian sont ses garde-fous. Il les appelle régulièrement, il est proche d’eux. Et puis, ça se voit à sa tête s’il est dans un mauvais jour. Parfois je lui disais le matin, juste en le regardant : « Kylian, aujourd’hui tu vas avoir quatre ou cinq mots dans ton carnet. » Et ça ne ratait pas. Il avait un truc dans le regard. Je le voyais à son œil qu’il n’allait pas tenir en place.
Reconnaissez-vous le Kylian enfant quand vous le voyez aujourd’hui champion du monde ?
J’ai revu cet œil au cours de la Coupe du Monde. Je lis son visage comme dans un livre ouvert vous savez. Comme ce match où à la fin il a gardé le ballon un peu trop en fin de match pour gagner du temps. J’ai reconnu sa tête, son regard. Par contre, il entend quand on lui dit quelque chose. Ce n’est pas quelqu’un de buté.
Vous faites-vous du souci quant à son avenir ?
C’est un gamin qui des émotions très fortes et qui est obligé de les contrôler d’un seul coup, c’est le seul souci qu’il puisse avoir. Il est très pudique, n’est pas du tout exubérant. Il va rire et taquiner mais a peur de la moquerie.
Quand il s’est fait rabrouer par Didier Deschamps dans le documentaire de TF1, j’ai reconnu sa réaction. Il a grandi, il avait de la peine et ce que j’ai trouvé d’extraordinaire, c’est qu’il avait honte ; c’est dur d’être filmé dans ces conditions. Malgré tout, il est capable d’entendre la critique.
Comment expliquez-vous une telle discrétion et maturité à son jeune âge ?
S’il est si discret avec les Bleus c’est parce que d’autres du groupe sont plus exubérants que lui. Il ne faut pas oublier qu’il reste très jeune. Je me rappelle cette petite grenouille de 11 ans qui jouait déjà avec des enfants de 13 – 14 ans, il avait trois tête de moins. Il en a parfois bavé, lorsqu’il a quitté sa famille pour Clairefontaine à 12 ans seulement. Sa maman a toujours été derrière lui, il n’a jamais été attiré par des choses qui auraient pu le faire mal tourner.
Êtes-vous encore en contact ?
J’ai encore des contacts avec sa mère. On se verra plus tard, je sais qu’il est très sollicité. Je lui dirai que je suis fière de lui et qu’il doit se rendre compte qu’il est un exemple pour tous ces gamins, mais je sais qu’il s’en rend compte.
Propos recueillis par Julien Rebucci
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