Les investigations sur le passé de François Mitterrand n’en finissent pas de ternir son image. Après Vichy, c’est son rôle dans la guerre d’Algérie, en tant que complice de la torture et de la peine capitale, que dévoilent des historiens.
Chargé de mystères, le passé de François Mitterrand a toujours recelé sa part d’ombre. Comme si à défaut d’avancer vers l’avenir radieux de ses cent et quelques propositions, ses années de jeunesse le rattrapaient toujours pour assombrir son éclat. Après ses affinités électives avec le régime de Pétain, révélées en 1994 par Pierre Péan dans Une jeunesse française, une autre faille vient fissurer le mausolée prestigieux : l’époque de la guerre d’Algérie.
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Déjà connue dans ses grandes lignes, la politique que mena le ministre de l’Intérieur et ministre de la Justice des années 1955-1957 des gouvernements Mendès France et Guy Mollet, dissimulait pourtant une réalité morbide : la complaisance aveugle d’un ministre de gauche pour les actes de torture de l’armée française en Algérie. Pire : son refus d’accorder la grâce à 45 militants nationalistes algériens, tous guillotinés.
Un document historique inédit
Déterrant ce nouveau secret inavouable dans un livre et un documentaire réalisé par Frédéric Brunnquell, l’historien spécialiste de l’Algérie Benjamin Stora et le journaliste François Malye dépassent le cadre d’une simple attaque frontale contre Mitterrand : ils dressent l’inventaire complexe d’une culture politique et d’un régime parlementaire, la IVe République, en grande partie déphasée par rapport aux enjeux de la guerre en Algérie. Ce travail à la fois particulier et général, mêlant à la psychologie d’un individu opaque la description du crépuscule d’une ère politique, confère au film et au livre François Mitterrand et la guerre d’Algérie le statut d’un document historique inédit.
Les auteurs renouvellent la connaissance d’une époque troublée, dans laquelle la part d’ombre de Mitterrand put s’épanouir en même temps qu’elle en fut un symptôme désolant.
En s’appuyant sur des archives inédites, des entretiens avec des proches de Mitterrand (Badinter, Dumas, Rousselet…) mais aussi avec des ex-combattants du FLN (Louisette Ighilariz, Yassef Saâdi, Abdelkader Guerroudj…) et ses biographes (Franz-Olivier Giesbert, Catherine Nay), le film de Brunnquell expose clairement le contexte historique qui poussa Mitterrand à agir contre tout ce qu’il défendra par la suite.
D’abord ministre de l’Intérieur du gouvernement Mendès France en juin 1954, il propose dès janvier 1955 le recours à la force dans une Algérie secouée par la révolte depuis novembre 1954. Mais c’est lorsqu’il devient en février 1956 ministre de la Justice du gouvernement Guy Mollet qu’il s’égare radicalement. En poste durant seize mois, il approuve alors les peines capitales – contre l’avis d’autres membres du gouvernement, dont Mendès France, Alain Savary ou Gaston Deferre.
Comme l’avait déjà étudié l’historien Jean-Luc Einaudi, Mitterrand se montre intraitable face à la demande de grâce de nombreux condamnés à mort : Badèche Ben Hamdi, défendu par Gisèle Halimi, guillotiné le 25 juillet 1957, Fernand Iveton, militant du Parti communiste algérien âgé de 30 ans… « Ce souvenir était odieux et il évitait d’en parler », confie aujourd’hui Robert Badinter. Stora souligne que « dans l’historiographie de François Mitterrand et de la guerre d’Algérie, Iveton demeure comme un nom maudit » ; « son point d’attaque » confirme Rousselet.
Quelques grandes figures intellectuelles, tels Albert Camus, Germaine Tillion, Louis Massignon, René Capitant, Hubert Beuve-Méry, alertent l’opinion mais ne furent jamais entendues par Mitterrand, intransigeant, prisonnier de ses calculs politiques et de l’aveuglement du pouvoir.
Un Mitterrand complice des horreurs du régime
Par-delà ses mystères insondables, Mitterrand apparaît comme le reflet de son milieu et de son époque. L’époque d’une gauche moribonde et d’un régime politique aux abois. Comme la majorité de ses camarades socialistes, à l’exception notable du PSU, Mitterrand a la conviction que les colonies ont tout à gagner de la protection d’une République française suposée leur garantir la justice, l’égalité, la modernité. Mais, outre l’aveuglement de la gauche encore fixée sur une grille de valeurs obsolète, Mitterrand reste marqué par les pratiques de la IVe République. A l’image de cette gauche archaïque, l’ensemble du personnel politique reste insensible aux causes de la révolution algérienne.
Il reste que c’est dans ce contexte historique que se révéla la part la plus trouble de la personnalité de Mitterrand. Le film interroge ce point aveugle d’un homme légitimement salué par l’histoire pour avoir aboli la peine de mort en France, après l’avoir validée secrètement, mais sans discernement. Si les écarts, les paradoxes, les contradictions, les revirements habitent chaque homme politique sur la longue durée, les errements de Mitterrand demeurent toujours aussi énigmatiques.
Comment s’affirmer de gauche quand on combattit de la pire manière les nationalistes algériens, après avoir cru en Pétain ? La clé d’explication de cet angle mort pourrait être, comme le suggèrent les observateurs interrogés ici, l’ambition. Par calcul politique et soif du pouvoir, plus que par conviction idéologique, Mitterrand se fit le complice des horreurs du régime français durant la guerre d’Algérie.
A chacun d’apprécier le chemin qu’il parcourut par la suite. Entre l’ascension vers les sommets du pouvoir à la tête d’une gauche réunie et la duplicité révélée par les souvenirs déterrés de ces heures sombres, le verdict de l’histoire mitterrandienne butte sur des obstacles pesants.
François Mitterrand et la guerre d’Algérie, documentaire de François Malye et Benjamin Stora, réalisé par Frédéric Brunnquell. Jeudi 4 novembre, 22h15, France 2
A lire : François Mitterrand et la guerre d’Algérie par François Malye et Benjamin Stora (Calmann-lévy), 300 p, 18€
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