Dimanche 13 janvier, nous avons suivi le principal cortège de « La Manif pour tous » pour aller à la rencontre des manifestants anti-mariage gay. Reportage.
Place Denfert-Rochereau, tous les ingrédients d’une manifestation réussie sont là : sono saturée diffusant de la variété, animateur s’égosillant au micro pour motiver les troupes, drapeaux flottant aux vents, banderoles et pancartes de sorties et slogans entraînant. Mais ce qui différencie une manifestation de droite à une manifestation de gauche, c’est l’organisation. Chez les conservateurs, on ne badine pas sur ce sujet. Les organisateurs de la Manif’ pour tous, n’ont de cesse de répéter les consignes aux manifestants pour la plupart novices. « Ne marchez pas sur les trottoirs, n’hésitez pas à laisser de l’espace devant et derrière vous. » L’objectif ? Canaliser la foule afin d’éviter que les images montrent des cortèges clairsemés.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Une manifestation encadrée
Dès lors, il n’y a pas de place pour l’improvisation. À la sortie du métro, les organisateurs distribuent des drapeaux et pancartes bleu, blanc, rose. Le rose, couleur de l’amour. Car il ne faut pas s’y tromper, la Manif’ pour tous, c’est d’abord une manifestation d’amour scandent les organisateurs. « Les banderoles doivent faire l’objet d’une autorisation comité », explique Marc, un des nombreux bénévoles chargé de l’encadrement. Les tracts autres que ceux de la Manif’ pour tous sont interdits, ainsi que les slogans politiques. Symbole d’un événement ultra-encadré, consigne a été donnée aux manifestants de ne pas trop s’épancher aux micros des journalistes et de relayer l’argumentaire officiel. Pour cela rien de plus simple, il suffit de se procurer un des milliers de tracts distribués. Heureusement, le manifestant de droite comme celui de gauche résiste rarement à la tentation de s’exprimer.
Le gros des troupes est composé de familles avec poussettes et pléthore d’enfants. Tout ce que la France compte de familles nombreuses semble s’être donné rendez-vous. Ils sont également nombreux à avoir fait le déplacement depuis la province. Plus étonnant, certains sont venus depuis l’étranger pour l’occasion. C’est le cas de Guillemette et de sa famille, qui résident au Luxembourg et sont arrivés par le train de 7h. « C’est la seconde fois de ma vie que je défile, explique la mère de famille. Je suis une ardente défenseuse du droit à la vie et je descends dans la rue pour protéger le modèle familial ! »
Réitérer l’exploit de 1984
Le défilé s’élance en direction du Champs de Mars, point de rendez-vous des trois cortèges qui parcourent la capitale. Malgré la musique électro diffusée par la sono, l’ambiance est loin d’être survoltée chez les manifestants. « Il faut le reconnaître, le public n’est pas très jeune et n’a pas l’habitude de défiler, admets un des organisateurs. Mais bon on se rôde peu à peu. »
Les slogans sont eux aussi rôdés. « Deux pères, deux mères, bonjour les repères« , « oui, oui, oui, au mariage homme-femme« , « mariageophiles, pas homophobes« . Mais se sont finalement les slogans les plus simples qui remportent l’adhésion des manifestants, de « Hollande t’es foutu les français sont dans la rue », à « Taubira ta loi on n’en veut pas ». Les standards habituels des manifestations syndicales font fureur chez les manifestants du dimanche. Certains s’essaient même à des « Hollande ta réforme, ta réforme, si tu savais… « . Des manifestants vite recadrés par les organisateurs qui ne souhaitent pas entendre de tels propos.
Astrid, mère de famille « catholique engagée » comme elle se décrit, n’en est pas à sa première manifestation. « J’étais déjà dans la rue en 1984, lorsque le gouvernement socialiste de l’époque voulait s’attaquer à la liberté d’enseignement ». Comme elle, ils sont nombreux à avoir déjà foulé les pavés parisiens lors des grandes manifestations pour la défense de l’école libre. A l’époque, plus d’un millions de personnes avaient défilé dans les rues et réussi à faire reculer le gouvernement socialiste. Un exploit que rêve de réitérer les organisateurs et les dirigeants politiques de l’opposition.
Visions caricaturales
Si la plupart des manifestants prennent soin de peser chaque mot quand ils s’expriment devant les micros, certains ne font pas dans la demi-mesure quand ils développent leur réflexion personnelle. « Ils ne se marient pas pour les mêmes raisons. Eux veulent casser et défoncer l’institution du mariage, s’emporte Christian, opposant depuis toujours à toute union légale pour les couples homosexuels. II y a derrière ce projet, un esprit de destruction de la cellule familiale. »
L’argumentaire devient même caricatural quand on interroge certains des opposants sur les raisons qui les amènent à battre le pavé. « C’est une question de valeur morale, de civilisation même, explique Anne-Charlotte, mère de quatre enfants qu’elle dit vouloir « protéger de la déliquescence » de la société. Cela veut dire qu’on pourra habiller les filles comme des garçons et des garçons comme des filles, en leur expliquant que c’est normal. »
La possibilité pour les couples homosexuels d’adopter permet aux militants d’exposer leur vision humaniste. »Imaginez, un enfant africain, qui vient d’un pays différent, qui a une culture différente et se retrouve propulsé dans une famille homosexuelle, explique Bruno, qui se dit médecin agréé pour les adoptions auprès de la préfecture de Rennes. Ce sera vraiment déboussolant pour lui, alors qu’il aspire à la normalité ».
« Jeune, catholique et pratiquant »
Le long du parcours les messages des pro-mariage gay s’affichent aux balcons et fenêtres des immeubles en réponse aux manifestants. À chaque fois, le cortège siffle et hue les pancartes incriminées. Un des rares moments où la manifestation sort de sa torpeur, le reste du temps, elle a plutôt des apparences de procession religieuse. La majorité des manifestants affirment leur engagement spirituel lors des interviews. « Jeune, catholique et pratiquant » se décrit Geoffroy-Marie, étudiant en prépa littéraire. « L’homosexualité est une réalité, mais ce n’est pas quelque chose de normal, poursuit le jeune homme. Le mariage va banaliser cette pratique et la mettre sur un pied d’égalité avec les couples hétérosexuels. »
Sa petite-amie, Chantal, âgée de 19 ans, en vient à s’interroger sur les raisons même de l’homosexualité. »Je pense que cela vient d’un échec familial, ses parents ne devaient pas assez s’aimer et ils ont renvoyé une mauvaise image du couple hétéro. L’enfant se retrouve alors à se demander si vivre entre personne de même sexe, n’est pas une meilleure solution ». Une démonstration psychosociale qui laisse sans voix.
« Suicide collectif », « régression », « menace pour l’humanité » et même « contre-nature » apparaissent dans la bouche de certains manifestants. Les mêmes qui dénoncent les errements de la société depuis Mai 68.
{"type":"Banniere-Basse"}