52 minutes non stop de DSK à la télé… presque un exploit pour celui qui en France compte ses mots et ses apparitions. Entretien avec Nicolas Escoulan, l’un des deux journalistes, qui a réalisé un documentaire exceptionnel sur le patron du FMI.
Nicolas Escoulan et François Lescalier, journalistes à Dimanche+, ont suivi pendant un an le patron du FMI. La demande avait été faite par la boîte de production à la communication de Dominique Strauss-Kahn après son passage au Grand Journal en novembre 2009.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
« Le deal s’est fait parce que le portrait sur DSK, patron du FMI et non sur la politique française », commente l’entourage de Dominique Strauss-Kahn. Avec l’idée de montrer en images comment fonctionnait le FMI et à quoi il servait. »
L’accord est conclu en février 2010. Au total, dix déplacements sont filmés entre mars 2010 (Kenya) et janvier 2011 (Paris), date à laquelle DSK est interviewé à froid sur les moments forts du reportage.
« A partir du moment où les deux journalistes ont gagné la confiance de Dominique Strauss-Kahn et des gens du FMI, ça a été open bar. La Grèce n’était pas prévue, elle s’est invitée de façon impromptue dans le documentaire. L’année 2010 a d’ailleurs été une année cruciale pour le FMI. »
La Grèce donc en avril 2010, mais aussi l’Afrique, l’Asie, l’Europe, où l’on voit DSK à la manoeuvre, toujours le Blackberry à portée de main, et à Washington puisque DSK et Anne Sinclair ouvrent les portes de leur maison sur le Pottomac. Scène mémorable où on les voit cuisiner et le patron cuire un steak. Ou des conseils de DSK pour défroisser un costume, après plusieurs heures dans une valise :
« Je l’accroche sur la barre de rideau de douche, je fais couler pendant trente minutes un bain chaud, cela donne un effet pressing qui le défroisse! »
Son entourage précise que c’est en fait une douche. Peut-être une manière de déminer une éventuelle critique anti-écolo de DSK qui utiliserait des litres d’eau pour ses costards… « La problématique environnementale ne traverse pas encore tous ses pores« , précise aux Inrocks un strauss-kahnien avant d’embrayer rapidement pour ne pas insulter l’avenir « mais il la prend en compte de plus en plus sérieusement ». D’où sa rencontre avec Nicolas Hulot au printemps 2010 à Paris, chez lui, pour « échanger sur les questions environnementales« , et ses contacts réguliers avec Nicholas Stern, auteur d’un rapport sur l’économie du changement climatique.
Dans ce documentaire fouillé, on y apprend aussi un échange savoureux entre DSK et Bill Clinton… qui en dit long sur les envies du patron du FMI et lui permet de faire allusion à la présidentielle, tout en contournant la sacrosainte règle du FMI : ne pas s’exprimer sur la politique intérieure de son pays.
Entretien avec Nicolas Escoulan, l’un des deux journalistes :
Comment s’est passé le tournage au FMI ?
L’accueil a été un peu froid au début, notamment de la part des gens du FMI qui n’étaient pas habitué à voir une caméra dans l’institution. C’est la première fois qu’il y avait un tournage au long cours à l’intérieur du FMI. Donc il y avait une certaine inquiétude de leur part. Au départ, ils ne savaient pas trop ce qu’on faisait. Et si DSK a dit oui en un mois et demi, le FMI a pris trois mois avec comme première condition de visionner nos images pendant le tournage et une fois montées. On a tout de suite refusé en disant que ce n’était pas notre manière de travailler. On a été ferme sur ce point. Ils ont fini par accepter. Au fur et à mesure, la confiance s’est installée et on a eu un accès quasi intégral. Ils ont fini par nous oublier.
Quel est le moment le plus fort que vous retenez de ce tournage ?
Le moment où nous étions dans son bureau le 23 avril 2010 à Washington, en pleine activation du plan d’aide à la Grèce. C’est 24h de vraie tension un peu comme dans une série américaine avec un enjeu colossal : on ne sait pas à ce moment-là si la Grèce va tomber dans la faillir, on doute de la solidité du Portugal et de l’Irlande, on craint une contagion pour la France qui serait alors déclassée par les agences de notations. C’est donc un climat de panique. A ce moment-là, nous nous trouvons dans le bureau de DSK et on a vu débarquer le ministre grec des Finances, Georges Papaconstantinou. Il a vu notre caméra. On a senti les gens du FMI inquiets.
La même journée, Dominique Strauss-Kahn sort furibard de son bureau après avoir lu sur son Blackberry une dépêche reprenant les propos de la ministre espagnole de l’économie. A ce moment-là, il lance en anglais « qu’elle la ferme ! » redoutant que cela déclenche une panique des marchés boursiers.
DSK s’est ensuite rendu en Grèce. C’est le seul moment où le FMI nous a demandé de ne pas l’accompagner DSK en expliquant, ce qui pouvait se comprendre, que débarquer avec une équipe de télé dans le bureau du premier ministre grec, étant donné le contexte, aurait pu être considéré comme un geste arrogant. On y est allé de notre côté. Il y avait des manifestations anti-DSK sur la place du Parlement avec des pantins où était piquée la tête de DSK. Il ne les a pas vus sur le moment mais on lui a ensuite montré les images. Il les a pris dans les dents. Il a encaissé mais il l’a mal vécu. Il le dit d’ailleurs pendant le documentaire qu’il comprend la réaction des Grecs mais que ce plan était inévitable car en Grèce la fraude est un « sport national ». Une façon de taper sur la Grèce, ce qui provoque aujourd’hui un tollé dans le pays.
Est-ce qu’avec le recul, vous vous dites que ce documentaire lui a permis d’expliquer le fonctionnement du FMI, l’objet de votre reportage, ou s’est transformé en opération com’ ?
La communication fait partie de la politique. Notre boulot de journaliste c’était à partir de ce qui nous était offert de montrer les ficelles, les limites. On a constamment mis le pied dans la porte qui était entre-ouverte. DSK avait une vraie volonté pédagogique, d’expliquer le fonctionnement du FMI et d’en modifier son image. Quand il est nommé en novembre 2007 l’image du FMI est désastreuse. En bon politique, il a compris que s’il redressait l’image du FMI, ça lui serait bénéfique. Quand on a commencé à tourner en mars 2010, on était au paroxysme de la crise mais on parlait constamment du FMI sans savoir vraiment ce que c’était. Il y avait d’ailleurs beaucoup de fantasmes qui entouraient l’institution.
Est-ce qu’à l’aune de votre travail, vous avez l’impression que le FMI a évolué ?
C’est très difficile à dire en si peu de temps. Généralement, ça se perçoit sur cinq ans. Ce qui est sûr c’est qu’il a un peu modifié du FMI et qu’il a lui-même évolué sur certains sujets comme l’Afrique. Comme nombre de responsables politiques français, ce n’est pas sa première préoccupation mais quand on s’y est rendu avec lui en Afrique, où il a été relativement bien accueilli, on sent qu’il prend conscience qu’il faut faire quelque chose et que c’est un moteur de croissance colossal. C’est vraiment le passage sur la Grèce qui est un tournant pour le FMI.
Marion Mourgue
Un an avec DSK, au coeur du FMI, diffusion le dimanche 13 mars à 12h45, sur Canal+ en clair, 52 minutes.
{"type":"Banniere-Basse"}