Le réseau social du Front National a fêté son premier anniversaire le 8 mai dernier. Pourtant « Les Patriotes » s’apparente bel et bien à un désert numérique avec moins de 10 000 inscrits. A tel point qu’au sein du Parti, plus personne n’en revendique la paternité. Chronologie d’un loupé du parti d’extrême droite sur la toile.
Certains ont cru y déceler le signe d’un changement de nom au Front National après celui de l’UMP. Le 4 mai, l’avocat mariniste Gilbert Collard a déposé la marque « Front national républicain » à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI). « Une façon de montrer qu’on est nous aussi républicains ! », a-t-il expliqué au JDD. Un mois plus tôt, le 7 avril, Joffrey Bollée, le directeur de cabinet du vice-président du FN Florian Philippot, a déposé à l’INPI la marque « Les Patriotes ». Avec au passage ce petit clin d’oeil à l’histoire : l’adresse indiquée est rue Lauriston, dans le XVIe arrondissement parisien, où se situait le siège de la Gestapo pendant l’Occupation.
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Pour ceux qui ne le savaient pas, « Les Patriotes » c’est le nom du réseau social lancé il y a un an (le 8 mai 2014 précisément) par la parti d’extrême droite. Cette initiative était soutenue par Florian Philippot: « Avec ce site, on ne touche pas seulement des militants du parti, déclarait à l’époque le vice-président du FN au Huffington Post. Je pense que le nombre d’inscrits sur le site dépassera le nombre d’encartés ». Un an plus tard, avec quelques 7 500 inscrits, on peut clairement parler d’échec.
Et du côté du FN, la communication est clairement verrouillée. Nous avons tenté de joindre Joffrey Bollée – ainsi que son adjointe, Mathilde Androuët – mais ni l’un ni l’autre n’ont daigné nous répondre, « ne souhaitant pas répondre sur ce thème ». Même réponse du côté de David Jolly, le délégué national du FN à la communication numérique, et proche du sénateur David Rachline. Seul Bruno Gollnisch a accepté de nous répondre sur un ton goguenard : « Je n’ai pas été concerté, je prépare le réseau des réactionnaires, moi ». Ainsi que Marion Maréchal-Le Pen qui a commenté : « Les Patriotes ? Je ne pense pas que ce soit le futur nom du parti. Le nom est extrêmement bateau. Je ne me suis pas inscrite sur ce site, c’est une initiative de Florian Philippot. » .
La jeune députée semble oublier qu’elle avait, elle aussi, soutenu le projet à son lancement, par esprit d’équipe probablement :
Une question reste en suspens. Pourquoi diable le FN a-t-il décidé de déposer le nom « Les Patriotes » à l’INPI ?
Un désert numérique
Pour tenter d’y voir plus clair, le mieux c’est encore d’aller voir par nous-même : on s’inscrit donc. On remplit le formulaire traditionnel. Si la première étape est plutôt classique (identité, situation et profession), la seconde l’est déjà beaucoup moins. On nous demande en effet, après nos centres d’intérêts, qu’elle est notre sujet de prédilection, dont voici la liste (un seul choix possible parmi lesquels « Communautarisme », « Dette », « Immigration » ou « Protection animale ») :
Et là surprise, on s’aperçoit que le site nous a décerné 42 points. On cherche où pouvoir les transformer en peluche ou autre goodies mais rien. Il faut dire qu’on a pas eu grand chose à faire pour être ainsi récompensé : 10 pour l’inscription, 3 pour une photo (un ballon de foot), 3 pour une participation à une événement ou encore 8 points pour partager l’un des contenus du site auprès de futurs « patriotes ». Autre surprise, avec ces 42 points, nous rentrons directement dans le top 5 des volontaires de la semaine.
Les Patriotes comportent aussi un chat de discussion. Mais après deux jours dessus, nous n’avons jamais observé plus de deux personnes connectées en même temps que nous :
Le reste ? Une série de missions confiées aux Patriotes pour que « nos idées et nos propositions puissent être diffusées à tous les Français ! » Rien de très compliqué, ce n’est que du partage de vidéos, d’infographies et de sondages à la gloire du FN, ou dénonçant leur diabolisation par les médias et les autres partis politiques.
Pour un proche de la direction frontiste, cette plateforme est « très maladroite voire dangereuse. Le parti est dans une logique de dédiabolisation mais ce qu’ils appellent ‘réseau social’ se révèle être à double tranchant. C’est dangereux pour le parti car on peut y poster tout et n’importe quoi et c’est dangereux pour ceux qui s’y inscrivent car ils vont tout de suite être identifiés comme d’extrême droite. J’ai beau chercher, je ne comprends pas l’intérêt d’un tel site. »
Un projet numérique anachronique
Voilà peut-être la raison du mutisme du FN au sujet des Patriotes. L’amateurisme de ce projet, pour un parti qui est à l’inverse plutôt connu pour son aisance avec Internet et les réseaux sociaux – le FN est le premier parti à s’être doté d’un site internet en avril 1996 (www.front-nat.fr) et l’un des premiers à avoir un serveur minitel en 1986 (avec 3615 Natio). Tandis que sur les réseaux sociaux, Marine Le Pen domine de la tête et des épaules ses concurrents Nicolas Sarkozy ou François Hollande avec ses 545 000 « followers » sur Twitter et ses 650 000 « fans » sur Facebook.
L’idée de développer un réseau social politique a déjà été expérimenté par l’UMP et le PS sans grand succès. En janvier 2010, le parti de droite lançait « Les créateurs de possibles », fermé 13 mois plus tard. « Une grosse foirade », selon Benoist Apparu alors en charge du numérique au sein du parti. Le site n’avait attiré que 15 000 inscrits pour une facture d’un million d’euros. Même si l’ancien ministre du Logement veut croire qu’il s’agissait d’une bonne idée : « J’ai le sentiment que ce réseau social qu’on a voulu d’action restait le bon choix. Je reconnais qu’il était peut-être un peu fourre-tout. C’est difficile de répondre aujourd’hui quant aux raisons de cet échec. » Et même s’il n’a pas fermé ses portes, on ne peut pas dire que le réseau socialiste, la Coopol, ait connu plus de réussite.
Pour Fabienne Greffet, maître de conférences en science politique à l’université de Nancy et auteure en 2012 de Le Web dans la recherche en science politique : nouveaux terrains, nouveaux enjeux, outre les limites techniques liées à l’interface, les réseaux sociaux lancés par le PS et l’UMP ont pâti de l’explosion des réseaux sociaux traditionnels comme Facebook ou Twitter. « Les discussions, la transmission de documents se faisait tout aussi bien voire plus naturellement que sur les plateformes destinés aux uniques militants et sympathisants », explique-t-elle. Une raison invoquée qui jette encore plus d’ombre sur le lancement des « Patriotes » quatre années plus tard, en 2014.
L’ombre des affaires judiciaires et de Frédéric Chatillon
Une autre raison du mutisme du FN sur son réseau social pourrait se cacher dans la mise en examen de Jean-François Jalkh. Le vice-président et responsable des questions juridiques du FN a été mis en examen le 19 mai dernier dans l’enquête sur le financement de campagnes électorales du parti. Il est poursuivi en tant que secrétaire général de Jeanne, le microparti de Marine Le Pen, qui fait déjà l’objet d’une mise en examen en tant que personne morale. Il est le premier haut cadre du FN à être inquiété dans cette affaire pour escroqueries, abus de confiance et acceptation par un parti politique d’un financement provenant d’une personne morale, en l’occurrence la société de communication Riwal fondée par Frédéric Chatillon, ancien du syndicat étudiant d’extrême droite le Gud et proche de Marine Le Pen. Riwal, c’est aussi la société qui s’occupe… des « Patriotes ».
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