Auréolé de son succès sur Mac et PC, l’héritier du mythique « Theme Hospital » vient d’arriver sur PS4, Xbox One et Switch. A la fois drôle et rigoureuse, cette entêtante simulation de gestion hospitalière fonctionne également comme un miroir déformant. Et aussi : la fête de la bagarre japonaise avec les versions Switch de « Devil May Cry 3 » et « Samurai Shodown » et la sortie du sublimement titré « Under Night In-Birth Exe : Late [cl-r] ».
Nous sommes en 1997. Depuis le début de la décennie et le triomphe d’un certain SimCity, le jeu de gestion est au sommet de sa popularité. De la compagnie ferroviaire (Railroad Tycoon) à la chaîne de pizzerias (Pizza Tycoon) en passant par la cité antique (Caesar), les éditeurs rivalisent d’idées sur les univers à simuler. Quelques années plus tôt, un studio anglais du nom de Bullfrog fondé par un certain Peter Molyneux (Populous, Black & White, Fable…) a connu un grand succès avec Theme Park, qui plaçait le joueur aux commandes d’un parc d’attractions et réussissait à concilier l’humour avec le sérieux de la simulation. En cette année 1997, il va récidiver en appliquant la même recette à un monde a priori moins rigolo même s’il passionne aussi chaque semaine les spectateurs d’une petite série télé baptisée d’Urgences : celui de la santé. Et son Theme Hospital restera comme l’un des représentants les plus emballants de cet âge d’or du jeu de gestion.
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Bonnes blagues
Fin des années 2010. Après une période où, à quelques titres majeurs près, il s’était fait plus discret, le genre semble s’offrir un retour au premier plan avec des titres comme Planet Zoo, Jurassic World Evolution ou Prison Architect. C’est le moment que choisit Two Point Studios pour lancer Two Point Hospital, présenté comme le successeur spirituel de Theme Hospital et fraîchement adapté sur consoles (PS4, Xbox One et Switch) un an et demi après sa sortie sur PC. Rectification : Two Point Hospital n’est pas un successeur spirituel de Theme Hospital. C’est Theme Hospital remis au goût du jour par ses principaux créateurs Mark Webley et Gary Carr, partis fonder leur propre studio après la fermeture de Lionhead Studio, la société qui avait succédé à Bullfrog.
Jouer à Two Point Hospital, c’est donc retrouver ce mélange singulier de mécaniques implacables et de bonnes blagues. C’est lutter pour maintenir son hôpital à flot alors que les dettes s’accumulent et que les médecins démissionnent tout en essayant de guérir des patients souffrant de « Rire contagieux » ou de « Monosourcil » (« Croissance extrême des sourcils suite à une utilisation excessive de shampooing pour la pousse des cheveux ») alors que débarque un troupeau de clowns « échappés d’un cirque« . Si certains malades devaient ne pas survivre au mal dont ils sont atteints, ils pourraient revenir hanter les couloirs de notre belle institution pour un remake improbable de L’Hôpital et ses fantômes. Le mieux, alors, sera évidemment de changer l’un de nos agents de maintenance en ghostbuster en l’envoyant suivre une formation à la capture de spectres.
Le mot-clé est équilibre. Celui, d’abord, que les développeurs ont su trouver entre le côté directif des objectifs (guérir tant de malades, ouvrir une clinique du rire, faire passer le taux de satisfaction du personnel à 75 %…) et la nature ouverte de l’expérience, son côté jeu de construction, voire de déco d’intérieur. On prend ainsi un immense plaisir à revoir sans relâche l’organisation de notre espace, ajoutant un bureau de généraliste par ici, agrandissant la salle commune pour y ajouter quelques lits supplémentaires par là ou déplaçant la clinique de psychiatrie dans cette annexe de l’hôpital que l’on vient d’ouvrir. Et l’on ne parle pas de la disposition des bancs, des distributeurs de sodas ou de chips ou du choix des posters à afficher sur les murs. Sans parler de ces bornes d’arcade qui – la bande-son n’en fait pas mystère – permettent aux malades de jouer à Sonic en attendant leur tour – Two Point Hospital est édité par Sega. Dans ce contexte, la possibilité d’accélérer ou de ralentir (légèrement) le temps est particulièrement bienvenue : suffisamment malléable, le jeu s’adapte à nos priorités du moment.
Parfois, tout roule. Les malades arrivent, passent d’une salle à une autre et ressortent guéris. Les ouvertures de services, les embauches et les promotions se font harmonieusement, au bon moment. Tout roule. D’ailleurs, on pourrait presque poser la manette (ou la console portable si l’on a choisi l’excellente version Switch du jeu) et simplement admirer le spectacle de cette ruche ou cette fourmilière prospère où chacun tient son rôle à la perfection. Mais parfois, tout s’emballe et on perd le contrôle. Grisé par le succès de nos premiers hôpitaux (car, ici, on les collectionne), serait-on allé trop vite ? N’aurait-on pas mieux de renoncer à certaines missions peut-être un peu trop ambitieuses afin d’assurer une croissance plus raisonnable à notre organisation au lieu de viser tout de suite très haut ? Parfois, recommencer le « niveau » (c’est-à-dire l’hôpital) semble la seule solution raisonnable. Faute, cette fois du côté du joueur, d’avoir su trouver un équilibre dans notre « construction ».
« Le cadre offert est relativement immense et libre, mais il n’en reste pas moins un cadre constitué d’une série de règles dépendantes de la vision de son concepteur. (…) [Le jeu] reste aussi, quoi qu’on en pense, surdéterminé par les représentations du monde de ses concepteurs. Ne nous trompons pas, malgré son apparente neutralité, c’est un point de vue sur le monde. » C’est de Sim City qu’il est question dans ces lignes extraites du numéro « Légendes urbaines » paru en 2010 des défunts Cahiers du jeu vidéo, mais le constat de leur auteur, Tony Fortin, s’applique aussi à tous les jeux de gestion et de simulation comme Two Point Hospital : que leurs auteurs le revendiquent (et se l’avouent à eux-mêmes) ou non, ce sont des œuvres éminemment politiques dont les mécaniques, les algorithmes sont bien des créations humaines quand bien même ils seraient le fruit d’une analyse poussée de la réalité.
Sur ce plan, le premier point marquant est que, dans Two Point Hospital, il ne semble pas y avoir de Sécurité Sociale. Ici, tout laisse penser que la médecine est une affaire privée, un business, et engranger des bénéfices apparaît bien comme le principal objectif. Quant aux patients et aux employés, ils apparaissent moins comme des personnages à part entière que comme des assemblages de paramètres (compétences, salaire ou niveau de satisfaction pour le corps médical) parmi d’autres de la simulation. Une infirmière démotivée ou un patient qui ne peut voir un spécialiste à cause d’une file d’attente trop longue est ici un élément à peu près du même type que des toilettes hors-service ou un sol couvert de flaques de vomi. C’est un problème qu’il va falloir s’atteler à résoudre sous peine d’en payer rapidement les conséquences financières. Nous évoluons ici dans un monde chiffré où même le bonheur s’évalue grâce à une jauge qui passe du vert au jaune puis à l’orange et enfin au rouge quand ça ne va vraiment plus du tout. Si tel est le cas, le mieux est encore d’augmenter le salaire du « malheureux ».
Comme dans tous les jeux de gestion, rétorqueront certains, et ils auront raison. Jouer à Two Point Hospital, c’est batailler avec un système de règles, tenter de le percer à jour, de le maîtriser. Et, si le cœur nous en dit, tester ses limites, regarder jusqu’où il est possible de l’entraîner. Par exemple : serait-il possible de miser sur une médecine de masse en baissant largement les prix des soins, quitte à proposer moins de spécialités et à se rattraper sur le prix des friandises vendues dans les distributeurs ? Et si l’on essayait le contraire : une médecine d’élite pour les très riches ? (Spoiler : une politique de santé « moyenne » semble a priori mieux fonctionner.)
Mais Two Point Hospital est aussi une comédie, voire une farce, quelque part entre Scrubs et Docteur House, mais vue d’un peu loin, d’un point où l’on n’entendrait pas bien les conversations, où l’on ne discernerait pas les visages et où les mouvements de foule se percevraient mieux que les élans individuels. Plutôt qu’une vraie parodie, c’est un miroir déformant tendu à l’hôpital et au monde de la santé. Une caricature, forcément discutable, mais d’une grande finesse et qu’on ne se lasse pas d’observer sous toutes ses coutures. Jusqu’à ce que le coronavirus nous rende tous fous, bien sûr.
Two Point Hospital (Two Point Studios / Sega), sur Switch, PS4, Xbox One, Mac, Windows et Linux, de 35 à 40€
Et aussi :
« Devil May Cry 3 – Special Edition »
Sur Switch, Capcom, environ 20€. Egalement disponible sur PS2, PS3, PS4, Xbox 360, Xbox One et Windows
Quelques mois après Devil May Cry 1 et 2, le troisième volet de la flamboyante série de jeux d’action japonaise s’invite à son tour sur la Switch dans une version HD qui gagne au passage certaines options de confort (comme la possibilité de changer de « style » de combat à volonté) ainsi qu’un mode jouable à deux. Quinze ans après sa sortie sur PS2, cette succession d’affrontements carnavalesques et joyeusement morbides qui ne craint ni l’emphase ni le gore enchante encore.
« Samurai Shodown »
Sur Switch, SNK / Deep Silver, environ 50€. Egalement disponible sur PS4, Xbox One et Stadia
A la mythologie urbaine de Street Fighter, Samurai Shodown oppose depuis toujours celle des samouraïs dont découle à la fois son approche du combat (à l’arme blanche, donc) et son esthétique qui, dans ce reboot de 2019 qui débarque lui aussi en beauté sur la Switch, donne parfois l’impression de lutter devant des estampes traditionnelles mystérieusement animées. Même si son gameplay plutôt accessible basé sur l’esquive et la contre-attaque ne nous empêche pas de jouer mal, le spectacle est un régal.
« Under Night In-Birth Exe : Late [cl-r] »
Sur PS4 et Switch, French Bread / PQube, environ 40€
Pourquoi accoler bêtement un chiffre ou quelques mots à peu près compréhensibles (« Deluxe », « Special Edition »…) à un titre quand on peut se montrer plus créatif ? Nouvelle version revue et augmentée d’un autre jeu de baston japonais, Under Night In-Birth Exe : Late [cl-r] a plusieurs atouts dans sa manche : son ambiance manga nocturne, ses personnages au style 2D soigné, son système de combat facile d’accès et néanmoins riche en subtilités ou encore son récit qui emprunte largement au genre du visual novel. Under Night In-Birth Exe : Late [cl-r] – on ne se lasse pas de ce titre – gagne à être connu.