Twitter France drague la gastronomie, symbole d’une France connectée. Les chefs travaillent leur « e réputation » à coup de photos de poissons surdimensionnés et de plats magnifiques.
Dominique Loiseau n’a plus sa langue dans sa poche. « Les réseaux sociaux font aussi bien pour nous que les étoiles », balance-t-elle à la tête du Guide Rouge qui lui a retiré en février la troisième étoile que son défunt mari avait obtenue il y a 25 ans. Les grands restaurants gastronomiques ne sont plus indifférents à l’impact digital. En plus des magazines et émissions de cuisine, les applications, critiques en ligne et sites internet font de la cuisine un des sujets majeurs du net. Twitter ne s’y est pas trompé. L’antenne France fait depuis quelques mois le forcing auprès de quelques têtes de pontes étoilées pour rameuter la cuisine sur son réseau. Pilotée par le community manager sport, « l’équipe s’occupe d’accompagner différents éco systèmes. La gastronomie au même titre que la politique ou le sport », commente Twitter.
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Une touche #sucrée pour finir un #repas. Qui résisterait? #foodporn #yummy #pastry pic.twitter.com/6HJJPS3Gbn
— Christian Lesquer (@ChefLeSquer) June 14, 2016
Christian Le Squer (chef du Cinq), Pierre Gagnaire, Michel Troisgros et début juin le pâtissier Christophe Michalak ont tous les quatre succombé à la Blue Room. Inauguré en septembre par David Guetta, cet espace de discussion en direct avec des personnalités « contente les gens », a constaté le triple étoilé Le Squer, twitteur convaincu. « Twitter dans nos cuisines, ça donne beaucoup de rêves», estime le chef qui, depuis qu’il a mordu aux 140 signes, s’impose avec bonheur 30 minutes quotidiennes de tweets et une photo par jour via un de ses 2 Iphone.
Si la haute gastronomie reste pour Twitter le reflet idéal de la France connectée, le fil d’actus devient pour les chefs « une nouvelle contrainte qui leur donne une proximité avec le public, rapide et transparente», commente Philippe Moreau, président de MCBG Conseil, qui gère une partie du compte du chef du Cinq. Coachés par des communicants qui les forment aux outils, les chefs prennent en main leur personnal branding et s’organisent, « sinon on perd le contrôle », leur conseille Philippe Moreau.
Pour un chef comme Guy Martin (Grand Véfour, Guerlain, Baccarat) « arriver sur Twitter, lui a permis de redevenir sexy et plus proche d’une clientèle plus jeune et internationale très active sur le réseau », résume Hélène Clément, son community manager, dont l’agence Palais Royal est également en charge du compte Troisgros.
Mes cocktails sucrés en vente aujourd'hui et tout le week-end #Michalak #Christophemichalak #patisserie #paris pic.twitter.com/808rqXJedK
— Christophe Michalak (@bymichalak) June 3, 2016
Un samsung dans le St Pierre
169 000 abonnés pour Cyril Lignac, 152 000 pour Guy Martin, 81 000 pour Piège, 54 800 sur le compte d’Anne-Sophie Pic…. Si aucun n’atteint la notoriété d’un Jamie Oliver (5,18 millions de followers), les chefs nourrissent néanmoins la timeline abondamment et régulièrement. « Je préfère twitter que de me faire agresser par des blogueurs sur mon mail », relève Pierre Gagnaire (200 000 abonnés).
Casserole d’une main, smartphone de l’autre, les » e-cuistots » balancent sur écran 5 pouces des plats, leur brigade, leur nouvelle devanture ou un BBQ maison le dimanche en famille. Une image des galettes de sarrasin de Christian le Squer (131 000 fans) provoque des dizaines de retweets. Gagnaire aborde l’outil à l’image de sa cuisine cérébrale : « Ce sont de petits pigeons voyageurs envoyés quotidiennement à travers le monde ». Le public semble se laisser bercer, sans commentaires, par ces belles images sans propos ni info.
Les galettes de sarrasin de ma #Bretagne qui accompagnent nos langoustines pic.twitter.com/Xqf0dhqAQo
— Christian Lesquer (@ChefLeSquer) May 3, 2016
Twitter se pose comme un Top chef de poche H24. « On est dans une logique d’audience », analyse MCBG Conseil. Et ça marche : avec seulement 3000 tweets, Passard a attiré 100 000 personnes.
« Via Twitter , on dégage une image »
S’ils ont bien conscience de ne pas remplir leurs restaurants à coup de messages courts, les twittos à toque n’en pensent pas moins qu’il faut en être. « C’est amusant et c’est important pour nous maintenant », se convainc Pierre Gagnaire qui prend un malin plaisir à diffuser dès le lundi matin des ris de veau, bille d’orange et verdurette de légumes et autres sabayon calamansi et infusion, légendé « d’humeur pluvieuse ?».
Les plus aguerris emmènent avec eux leurs équipes autorisant le téléphone au milieu des couteaux. Le Squer envisage même d’installer dans les cuisines de son trois étoiles une station de recharge pour smartphone. Jouissant de cette cure de jouvence gratuite, la génération des chefs quinquas trouverait ainsi pour pas cher, le moyen de rester connecté aussi bien à leurs jeunes brigades qu’à de jeunes fans, clients en devenir. Car, étonnamment, c’est la génération qu’on attendait le moins qui répond le mieux au hashtag #chefs : des Guy Savoy, Alain Passard, Antoine Westermann, Georges Blanc. Ils sont tous là, logiquement mêlés à une flopée de « Top Chefs », qui ont compris qu’une com’ bien gérée pouvait permettre d’ouvrir un restaurant. La jeune génération de cuistots s’adonne elle à Instagram et attaque Snapchat.
Florent Ladeyn, le chouchou du Nord, a laissé tomber son compte depuis un an au profit du réseau de photos. « Instagram, c’est cool. Plus fluide, ça va vite, on va direct à l’essentiel et les images parlent d’elles mêmes ». Pour des caractères plus enclins au visuel qu’à la parole, ce récent glissement apparaît logique. Hier consensuels, aujourd’hui générationnels, les réseaux sociaux sont comme les restaus : à chacun son genre.
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