Retranscrire des chefs-d’œuvre de la littérature en quelques tweets… C’est le pari risqué et raté de La Twittérature, le livre de deux jeunes étudiants américains, autoproclamés ambassadeurs de la “génération Twitter”.
Lassés des discussions stériles sur le “langage texto” et son effet sclérosant sur la jeune génération qui passe son temps “à faire des SMS sur son GSM” ? Bon courage, car la sortie de La Twittérature risque d’occasionner bon nombre de débats en bois sur le sujet. Ecrit par deux étudiants américains de 19 ans, ce livre au titre éprouvant pour tout ami des belles-lettres se propose de résumer plus de 70 “chefs-d’œuvre de la littérature” en 20 tweets chacun. Tâche périlleuse s’il en est : s’attaquer à Hamlet, L’Etranger ou Œdipe-roi pour les synthétiser en 20 “aphorismes 2.0” de 140 signes maximum demande une certaine confiance en soi. Qualifier de chefs-d’œuvre Da Vinci Code, Twilight ou Harry Potter aussi.
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[attachment id=298]Pourtant, le rapprochement de J.K. Rowling avec Aristophane ou Dostoïevski passe pour une hérésie moindre au regard du contenu même de l’ouvrage. Pour saisir l’idée directrice, il suffit d’en lire la couverture qui met en exergue l’adaptation de Candide de Voltaire. Soit : “Ce qui compte c’est que la vie soit OK et il faut juste cultiver son jardin. Alors fermez-la, les mecs, et cultivez.” Suivi de : “Et puis ma meuf s’est plus rasée depuis des années. Ça, c’est un jardin que je dois vraiment cultiver. Garden party !” Le malaise vagal évité de peu on comprend qu’il faut prendre ce livre sur le ton de la plaisanterie malgré l’avant-propos douteux des deux auteurs persuadés d’avoir “libéré ce pauvre Hamlet du carcan des contraintes littéraires du XVIe siècle pour le transformer en jeune homme branché sans lui faire perdre un gramme de sa sagesse, de sa beauté, de son esprit ou de ses angoisses.”
Mais se réclamer ambassadeur d’une “Génération Twitter” caractérisée par “l’info-déluge et le tout-numérique” n’est pas seulement présomptueux, c’est aussi périlleux. Surtout en France où le site de microblogging est principalement utilisé par des journalistes et s’avère donc bien loin de définir une génération entière. Pour ceux qui n’évolueraient pas dans le milieu, Twitter est une sorte d’addition de statuts Facebook, chaque message étant limité à 140 caractères. Concis, rapides et précis (dans le meilleur des cas), les tweets ont aussi façonné une manière d’écrire et de penser caractérisée par des termes spécifiques quasiment toujours repris de l’anglais.
Mais alors, comment faire passer l’écriture web du “jeune homme branché” (bien loin du “langage texto”) à un livre édité en français ?Au regard de la version anglaise originale, plus fluide et plus drôle on se permet d’émettre quelques doutes quant au travail de traduction du livre. Sur la forme : certaines entrées traduites en français font plus de 140 caractères. Sur le fond, par exemple, le terme “smiley” largement utilisé en français est traduit par “frimousse”. Faute de goût magistrale sur l’Internet cool.
La tâche n’était certes pas aisée. Twitter et surtout internet ont inventé un style au sens littéraire du terme : une nouvelle manière de penser et de se saisir d’objets mais aussi de voir, d’entendre et d’éprouver. Un véritable mouvement générationnel que ce livre peine douloureusement à saisir.
Dommage car des précédents avaient suscité l’espoir. Par exemple, l’année dernière, deux Irlandais se lançaient dans l’adaptation du dixième chapitre d’Ulysse de James Joyce en enregistrant 54 comptes au nom des 54 personnages du roman sur le site afin de retranscrire dans l’ordre chronologique le chapitre en question sur une journée . “Peut-être qu’avec ça, nous pourrons déplacer l’intérêt des gens qui est pour l’instant centré sur l’immédiateté et le narcissisme vers des enjeux plus créatifs et culturels”, affirmait alors l’un des deux hommes à l’origine de cette performance.
C’est loupé concernant La Twittérature. Malgré quelques bonnes idées (les anachronismes ou les pseudos plein d’humour), comment comparer les premières phrases magistrales de L’Etranger à ce médiocre “Maman morte. Sais plus si c’était aujourd’hui ou hier” ? Et comment traduire “2bornot2b” par “êtreounepazêtre” ? L’essai aura eu le mérite d’être tenté et de provoquer l’hilarité chez certains amis lettrés. Sortie prévue le 1er avril. #FAIL, comme on dit sur Twitter.
La Twittérature Par Emmett Rensin et Alexander Aciman
(éditions Saint-Simon, 13 €, 240 pages).
Illustration : Hector De La Vallée
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