Le président turc a annoncé mercredi 18 avril que des élections présidentielles et législatives allaient être organisées le 24 juin prochain. Soit un an et demi avant la date prévue. L’annonce a pris tout le monde de court.
Impossible n’est pas Erdoğan. Le président turc s’est d’ailleurs fixé un nouveau défi ce mercredi : organiser des élections en 90 jours, dans un pays de 80 millions d’habitants. « Nous avons décidé de tenir ces élections le dimanche 24 juin 2018 », a-t-il déclaré dans l’après-midi ce mercredi 18 avril, à la surprise générale. Car oui, dans le pays, les élections présidentielles et législatives étaient censées avoir lieu en novembre 2019. Soit dans un an et demi.
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Une annonce savamment chorégraphiée
Pour préparer cette annonce, les dernières 24 heures ont été savamment chorégraphiées. Si des rumeurs flottaient depuis de longs mois sur la possibilité pour le pouvoir d’avancer les élections – démenties par le gouvernement lui-même – c’est mardi qu’a vraiment commencé le bal. Premier acte, mardi matin : Devlet Bahçeli le chef du parti ultranationaliste du MHP, allié à l’AKP d’Erdoğan, a réclamé des élections anticipées et avancé la date du 24 août. Réaction immédiate du gouvernement qui déclare que l’homme politique sera reçu dès le lendemain pour aborder la question.
Deuxième acte ce mercredi après-midi. Après une entrevue qui a duré quelques heures – les deux hommes ont d’ailleurs été photographiés se serrant la main, sans aucune émotion – Erdoğan a fait sa grande annonce lors d’une conférence de presse, devant une rangée de drapeaux turcs. “Le haut-comité électoral va immédiatement commencer les préparatifs pour ces élections”, a-t-il précisé. Aucune question n’est admise à la suite de la conférence, laissant les chaînes d’info repasser l’annonce en boucle tout l’après-midi.
So yesterday, #Erdogan said he was "sad" at #Bahceli's idea of early elections on 26 August and #AKP said it gave importance to elections being held on time. Today, the President made it even 2 months earlier than that. The sadness didn't last long.
— Mark Lowen (@marklowen) April 18, 2018
Attendre : prendre le risque de perdre
Le scrutin est vital pour le président turc, qui tient des meetings très régulièrement. Il va lui permettre d’entériner les réformes prévues lors du référendum de l’année dernière, prévoyant notamment qu’il puisse se présenter encore deux fois. Et donc gouverner jusqu’en 2029 (il est à la tête du pays depuis 2003). « Ça sera un jour historique pour la Turquie, a opiné Soner Çağaptay, auteur d’une biographie du président, dans les colonnes du Guardian. Le bureau du Premier ministre va cesser d’exister, le président pourra gouverner par décret et le régime deviendra véritablement présidentiel. Nous passerons d’une Turquie à une autre et ce jour sera dramatique. »
Surtout, la situation n’est pas des plus enviable pour le pouvoir en place. L’économie n’est pas stable et la livre turque perd beaucoup de valeur face à l’euro et au dollar. Sur le plan international, le débordement du conflit en Syrie fait s’opposer frontalement la Turquie et ses « alliés » de l’OTAN. Attendre de longs mois pourrait fragiliser encore plus le gouvernement, qui entend bien également, surfer sur la vague patriotique créée avec l’offensive armée lancée dans les territoires kurdes de Syrie en début d’année.
Prévues initialement en nov 2019, la présidentielle et les législatives qui marqueront le passage au système présidentiel seront donc avancées de 17 mois. #Erdogan parle d'une décision "à un moment où le calendrier s'accélère en Syrie et où des décisions macroéco s'imposent".
— Guillaume Perrier (@GuillaumPerrier) April 18, 2018
Une décision guidée « par la peur »
L’annonce a pris tout le monde de court, surtout ses concurrents. Si tous ont immédiatement objecté qu’ils étaient “prêts”, aucun n’a encore pu annoncer quel serait son candidat. L’opposition est déjà très affaiblie et ne dispose que d’un espace très limité dans les médias. Une dizaine de députés et de nombreux élus du HDP, le parti pro-kurde, troisième formation du pays, sont également derrière les barreaux. Et le parti nationaliste, le IYI parti, emmené par Merak Aksener, n’est même pas sûr de pouvoir concourir, la date de sa formation étant trop rapprochée des élections.
Le calendrier bouscule jusqu’à l’agenda du pays entier : un examen universitaire, prévu pour le même jour, va devoir être reporté. A noter que, heureux hasard du calendrier, l’état d’urgence a été prolongé une septième fois ce mercredi, quelques heures après l’annonce de la date des élections.
Interrogé par The Telegraph, Veli Agbaba, député du CHP a dénoncé une décision guidée par « la peur ». « Ils veulent bénéficier des conditions de l’état d’urgence » a attaqué l’élu. Entre autres : des médias pratiquement tous pro-gouvernementaux. Des centaines d’entre eux ont déjà été fermés et des journalistes mis derrière les barreaux. Et ironie du sort : alors que dans le pays, des milliers de sites Internet ont été bloqués, et notamment l’encyclopédie en ligne Wikipedia, une page existe déjà sur les élections de juin prochain, en anglais, français… Et en turc. Erdoğan y est d’ailleurs donné largement gagnant.
Autant d’absurdités qui font qu’un compte parodique a tweeté : Positivons. Il [Receyp Tayyip Erdoğan ndlr] aurait pu dire : “Les élections anticipées sont passées. Je les ai organisées la semaine dernière.”
Olumlu düşünelim
Erken Seçimi geçen hafta yaptım da diyebilirdi— Nietzsche (@zerqddt) April 18, 2018
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