Le 17 décembre dernier, le tunisien Mohamed Bouazizi s’est immolé par le feu de désespoir après s’être fait confisquer sa marchandise par la police municipale. Il a déclenché dans tout le pays une vague de colère contre la misère, la dictature et la corruption. D’une ampleur inédite, les manifestations vont-elles déclencher le train de la révolution ?
Par son immolation, Mohamed Bouazizi est devenu le symbole du mal-être d’une génération. Mais son geste, qui lui a finalement coûté la vie, a aussi ouvert une brèche dans la chape de plomb imposée par le régime du président Ben Ali.
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Depuis plus de deux semaines, des Tunisiens descendent dans la rue pour exprimer leur colère. “C’est la première fois qu’il y a un mouvement citoyen de cette envergure, estime Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen. Ces événements ont brisé le mythe de l’invincibilité de la machine policière et répressive du pouvoir. Les Tunisiens n’ont plus peur.”
Tout commence le 17 décembre. Mohamed Bouazizi, 26 ans, vit à Sidi Bouzid, chef-lieu de l’une des régions les plus pauvres du pays, dans le centre de la Tunisie. Loin des villes côtières, du tourisme et du “miracle économique”.
Ici, la majorité de la population vit de l’agriculture et du bétail. Jeune diplômé sans emploi, Mohamed Bouazizi vend des fruits et légumes. Mais comme la plupart des marchands ambulants, il ne dispose pas des autorisations nécessaires.
Désespéré , il s’immole devant le siège du gouvernorat
Ce jour-là, une fois de plus, des employés et des policiers municipaux lui confisquent sa brouette. Sa seule source de revenus. Excédé, Mohamed Bouazizi tente de plaider sa cause auprès des autorités. Il trouve porte close. De désespoir, il tente alors de s’immoler devant le siège du gouvernorat. Le jour même, des proches organisent un sit-in.
Rapidement, le mouvement prend de l’ampleur, à Sidi Bouzid mais aussi dans le reste du pays. Sousse, Monastir, Gafsa, Bizerte, Sfax… Le 25 décembre, les manifestations gagnent la capitale. Le 31, des avocats descendent à leur tour dans la rue. Interdits, ces rassemblements sont réprimés, souvent violemment.
A Menzel Bouzaïene, deux manifestants sont tués par balles. Les témoignages faisant état d’arrestations se multiplient. Houcine Néji, 22 ans, s’est lui suicidé le 22 décembre en s’électrocutant avec un câble à haute tension, à Sidi Bouzid. “Non à la misère !”, crie-t-il avant de mourir.
Au coeur des revendications, la situation économique et sociale. En Tunisie, où l’éducation supérieure est gratuite, le nombre de diplômés a quasi doublé en une décennie : ils sont désormais près de 40 000 à arriver sur le marché du travail chaque année. Mais les emplois qualifiés manquent.
Selon la Banque mondiale, le taux de chômage est de 14 % pour l’ensemble de la population, mais de 30 % chez les jeunes. Dans certaines filières, ce sont 60 % des diplômés qui sont sans emploi.
Le mouvement a pris une ampleur exagérée selon le gouvernement
Très vite, le mouvement prend une tournure politique.
“Le chômage est l’étincelle qui a déclenché cette révolte, explique Lina Ben Mhenni, une bloggeuse de 27 ans. Mais les manifestants critiquent aussi le pouvoir. Les Tunisiens en ont ras le bol des vingt-trois années de dictature, de la corruption, de l’absence de liberté d’expression.”
Le président tunisien, sortant de son silence de plus de dix jours après le début des émeutes, a lui dénoncé “l’ampleur exagérée” prise par des “actes isolés”. Seul le ministre de la Communication a été remplacé.
Sur la toile, en dépit de la censure, la mobilisation se poursuit. A la veille de la rentrée, les lycéens appelaient à la grève, via Facebook.
“Les choses ne vont pas s’arranger pour le pouvoir, il va y avoir plein de manifestations, prédit Ali*, membre du syndicat étudiant UGET (Union générale des étudiants tunisiens). Je crois que le train de la révolution est en marche.”
Perrine Mouterde
*Le prénom a été changé.
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