Dans « J’irai danser à Orlando », le journaliste Philippe Corbé revient sur l’attentat du « Pulse », qu’il a couvert pour RTL. Entre témoignages et souvenirs personnels, l’auteur y célèbre l’importance des clubs gays pour la communauté LGBT.
Dans la nuit du 12 juin 2016, Omar Mateen, 29 ans, rentre au Pulse, un club gay d’Orlando, et tire dans la foule. Il tue 49 personnes et en blesse 53 autres. Quelques heures plus tard, Philippe Corbé, correspond aux Etats-Unis pour RTL, est sur place. Pendant plusieurs jours, en serrant les dents, il fait son travail de journaliste: fouille l’horreur, les cœurs broyés des familles des victimes, recueille les témoignages de survivants (« C’est lourd la culpabilité d’être vivant », confie une rescapée à son micro).
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Dans l’avion de son retour à New-York, le journaliste craque. À la douleur des témoignages et la tension accumulée lors son reportage succède une résonance plus personnelle. C’est que les bars et les boîtes gays, Philippe Corbé, les connaît bien pour les avoir fréquentés toute sa vie. Une semaine après la tuerie, le journaliste crache un texte qu’il publie sur Medium où il aborde, au-delà du drame, l’importance déterminante des clubs et bars gays pour la communauté LGBT. Un rôle crucial qui donne à cet attentat une place à part dans la longue liste des crimes de masse aux Etats-Unis:
« D’abord c’est un crime plus massif que les autres, explique Philippe Corbé. Hors Guerre de sécession, c’est la tuerie qui a fait le plus de morts aux Etats-Unis. Plus que Columbine, plus que Newton. Sans faire de hiérarchie dans la violence. À cela s’ajoute la dimension djihadiste. Car même si l’attentat n’était pas commandé par DAESH, dans ses conversations téléphoniques le tueur est obsédé par l’idée de prêter allégeance à l’Etat Islamique qui finira d’ailleurs par revendiquer l’attaque. Mais surtout, il y a la cible: un lieu de fête de la communauté LGBT+. Et à travers ce lieu de sociabilité gay, ce sont les valeurs de l’occident, de vivre ensemble et de le loisir qu’on attaque. Un peu comme le Bataclan en France. »
« Maman je t’aime. Je vais mourir »
Et c’est vrai qu’en tournant ces pages, on repense nécessairement au 13 novembre 2015. Surtout lorsqu’on découvre les témoignages des victimes ou les sms à leurs proches, que l’auteur a tenu à reproduire :
« Eddie Jamoldory Justice, trente ans, qui a envoyé des textos à sa mère depuis les toilettes où il espérait se protéger.
Mommy I love you
In the club they shooting
Trapp in the bathroom
I’m gonna die »
Dans son livre, le journaliste mêle à la tuerie sa propre histoire, a priori éloignée de celles des victimes en majorité latinos d’Orlando : celle d’un jeune français homo, un « smalltown boy » breton, expatrié à New York. Mais qui connaît intimement l’importance de ces sanctuaires que sont les clubs gays:
« Je pense que tous les homos se rappellent la première fois où ils sont rentrés dans un bar gay. Qu’ils soient heureux ou malheureux quelque chose dans leur vie change ce jour-là. C’est une forme de dépucelage. Le trait d’union entre eux et moi, c’est le lieu: le club gay. Ce sont des endroits de fête mais aussi de mémoire, d’abri, de combats, de rencontres amoureuses… Mais aussi d’une grande diversité sociale où, comme je l’écris, « un député danse parfois avec un étudiant un P-DG avec un chômeur. »
Beyoncé et Harvey Milk
J’irai Danser à Orlando est un livre de fête célébrant la pulsion de vie. Un récit éclaté, à mi-chemin entre essai, journal de bord et reportage, traversé par la musique des icônes gays, de Madonna à Beyoncé (qui était jouée dans le club au moment où la tuerie) en passant par Bowie, Jimmy Somerville ou Frank Ocean. C’est l’occasion pour le journaliste de dresser une cartographie des combats de la communauté LGBT+ américaine: de Stonewall à la lutte contre le sida, de Harvey Milk au coming out d’Ellen DeGeneres. Mais aussi de revenir plus concrètement sur la pudeur étrange des médias français —ou de la classe politique— toujours gênés lorsqu’une information touche à l’homosexualité (comme on a encore pu le vérifier lors du meurtre du policier Xavier Jugelé). Extraits:
« Quelques mots en ouverture d’un talk show léger de divertissement sont plus justes que les unes de la presse française que je découvre au même moment sur ma boite aux lettres électronique.
« Orlando, nouvelle plait béante » en manchette de Libération, « La terreur et la haine » en une du Figaro. Toutes, sauf celle de Sud Ouest, « Un massacre homophobe lié à Daesh », omettent de faire référence à la cible homosexuelle. Au nom de la méfiance du communautarisme, nous nous gardons d’identifier des communautés pour ce qu’elles sont, en préférant oublier que ces homos, ces hétéros, ont été fauchés parce qu’il étaient allés, heureux et fiers, danser dans un club de pédés.
Comme si l’Hypercasher ou l’école juive de Toulouse n’étaient pas des attentats antisémites. Comme si l’attaque avortée d’une église à Villejuif ne visait pas les chrétiens. »
Vice-président homophobe « sans aucune honte »
Avec une écriture prudente mais élégante, le livre s’étire sur fond de campagne américaine, de débats sur les armes à feu et surtout et tente de mettre à jour une homophobie qui hante l’Amérique depuis toujours, bien avant l’horreur de Daesh : de la militante homophobe Anita Bryant à Mike Pence, vice-président homophobe « sans aucune honte » de Donald Trump, du meurtre du jeune Matthew Shepard aux messages de haine postés sur les vidéos Periscope prises par le journaliste pendant la fusillade, jusqu’à l’indécence des membres de l’Église Westboro qui le jour de la gay pride de Orlando brandissent des pancartes « Dieu déteste les pédés » le long du cortège. Mais malgré cette haine inouïe, et peut-être même contre elle, les homosexuels d’Orlando, de Paris ou d’ailleurs, n’ont pas fini de danser.
J’irai danser à Orlando de Philippe Corbé, ed. Grasset (360 pages). En librairie.
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