Fameux chanteur russe et légende d’internet malgré lui, Eduard Khil est mort, laissant derrière lui un océan de larmes virtuelles. Retour sur un mème devenu mythe (ou l’inverse).
1. D’Eduard Khil…
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Avant d’être connu de tous (du moins de ceux qui ont suffisamment de temps libre pour passer des heures sur YouTube) sous le nom de Trololo Guy, Eduard Khil était Eduard Khil : baryton russe, né en 1934 d’un père mécanicien et d’une mère comptable. On apprend sur le net, son royaume, que le petit Eduard passe la guerre dans un foyer pour enfants où il se produit devant les soldats blessés rapatriés du front. Elève du conservatoire de Léningrad, il délaisse le répertoire classique pour la pop, où il excelle, et remporte plusieurs prix dans les années 60 et 70. Lauréat du Concours russe pour artistes interprètes en 1962, on lui décerne l’ordre du Drapeau rouge du travail en 1971. En 1974, il reçoit (mazette) le titre de l’artiste le plus prestigieux d’URSS et chantera même en France devant Mitterrand au début des années 80. Mais, sa notoriété mondiale, Eduard la doit surtout à une vidéo absurde et kitsch réapparue sur internet en 2009. Son titre : « Я очень рад, ведь я, наконец, возвращаюсь домой », c’est-à-dire, pour les gueux qui ne parlent pas russe, “Je suis très heureux d’être enfin revenu à la maison.”
2. …à “Trololo Guy”
Sur internet, “Я очень рад, ведь я, наконец, возвращаюсь домой” a été prosaïquement rebaptisé Trololo. La raison en est simple : en un peu plus de 2 minutes 30, les seules paroles distinctes sont “trololololo lololo lololo trolololo” ponctuées de “yéyéyé”, “yoyoyo” et autres “hohoho”. Vue plus de dix millions de fois, la vidéo doit sa popularité à l’apparente absurdité du morceau, aux onomatopées qui sont universelles (comme la bêtise), mais aussi au regard exorbité d’Eduard, à son sourire constant, à ses mimiques figées (remarquable bouche en “O”) et au décor jaune marronasse hyper ex-URSS. A ce propos, la légende veut que la chanson ait jadis été pourvue de paroles évoquant un cow-boy du Kentucky, ce qui n’aurait pas été toléré à l’époque (1966) dans cette partie du globe. Résultat : un simple air et des vocalises exhumés en 2009 par un Américain. En 2010, le succès est tel qu’Eduard (devenu un personnage furtif de Family Guy et objet d’une pétition lui réclamant une tournée mondiale) invite le monde entier à trouver des paroles pour la chanson qui lui a valu son succès, en précisant qu’elle est destinée à réunir les gens dans la joie et la bonne humeur. C’était oublier une autre émotion forte : le bonheur du trolling.
3. Troll lol lol
Suite à l’annonce du décès d’Eduard Khil, Vladimir Poutine a solennellement présenté ses condoléances à la famille. En effet, une autre des chansons de Monsieur Trololo, Où commence la patrie ?, dotée de paroles, serait une des préférées du président russe. Il n’aurait pas été étonnant que Poutine confesse un petit faible pour Trololo car ce morceau, en devenant un mème, s’est aussi imposé comme l’hymne absolue des trolls – statut que l’on pourrait potentiellement coller au président russe si son trolling n’avait pas pour corrélat des prises de position politiques désastreuses. Pour le béotien, un troll est un petit être peuplant l’internet et prenant un malin plaisir à perturber la communauté. En somme, le troll est un gros relou, celui qui au milieu d’une conversation sérieuse sur la crise de la Grèce viendra poster la vidéo de Trololo, poser des questions idiotes telles que “jamais, ça prend pas jamais de ‘s’ ?” ou insulter le chaland sans aucune raison. Sa motivation : tromper l’ennui en ennuyant les autres, quand il ne s’agit pas d’emmerder pour avoir l’impression d’exister. L’absurdité des vocalises d’Eduard Khil et son style mi-crooner vintage mi-psychopathe soviétique a ainsi rencontré au bon moment l’esprit du net et plus précisément de la webculture, égrégore essentiellement composé de blagues débiles et de grand n’importe quoi. Ainsi, la perspective Nevski d’internet se souviendra à jamais de l’homme à la “chanson con” qui voulait transmuter l’absurdité vintage made in ex-URSS en ode à la joie. Et qui, ce faisant, touche désormais du doigt l’éternité.
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