Claudine Lepage, Vincent Eblé et Yves Daudigny ont visité le Centre de rétention administrative de Mesnil-Amelot mardi 23 juillet, plus d’une semaine après le retrait de la Cimade, seule association sur place. Les Inrocks se sont entretenus avec les trois élus.
Mardi 23 juillet, trois sénateurs du groupe socialiste ont exercé leur droit de visite des lieux de privations de liberté au Mesnil-Amelot (77). Une semaine plus tôt, la Cimade avait annoncé son retrait de ce centre de rétention administrative (CRA) avant de le prolonger. Actuellement, l’association n’a pas réintégré la structure. Les Inrocks étaient largement revenus sur la situation sans précédent dans ce lieu de privation de liberté. Ils se sont longuement entretenus avec les trois élus.
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C’est la deuxième fois que des parlementaires visitent ce CRA depuis le début de l’année. Contrairement à celle d’Esther Benbassa en janvier, la courte visite des trois sénateurs n’a rien d’une surprise. La veille, ces derniers ont prévenu l’administration de leurs intentions. Une occasion en or pour les pandores de la Police aux frontières (PAF) qui auraient bien besoin de redorer leur blason auprès des législateurs et des médias qui les accompagnent. Les policiers ont néanmoins échoué dans cet exercice. Les conditions de vie observées par les sénateurs demeurent extrêmement difficiles. Les migrants dont les actes désespérés ont conduit au retrait des associatifs semblent avoir opportunément disparu et la police prétend désormais que ces tentatives de suicide étaient en réalité des tentatives d’évasion. L’opacité des lieux et l’omerta au sein du personnel se confirment. Entretien.
Comment avez-vous été reçus par l’administration du CRA ? Quelle était leur attitude ?
Claudine Lepage – D’abord un petit peu fraîchement. Les fonctionnaires étaient visiblement sur la défensive. Au cours de la visite, ils se sont un petit peu détendus et on parlait plus.
Vincent Eblé – Nous avons été reçus de manière absolument correcte et l’administration a adopté une attitude conciliante à notre égard. Pas chaleureuse, c’est sûr. Mais pas réticente. Quand on est là, évidemment tous les comportements qui ont été dénoncés ne peuvent pas être observés. En matière de science sociale, dès lors que vous faites une observation rapprochée, c’est de nature à modifier les comportements. Je suis exactement dans cette situation parce qu’il suffit qu’on soit là pour que (les policiers) se tiennent. Néanmoins quand on est sorti, on avait un sentiment de relatif malaise.
Quelles sont les conditions de vie que vous avez pu observer ?
Claudine Lepage – Les conditions de vie sont terribles, vraiment honteuses. Avec la chaleur actuelle, c’est épouvantable. Ce n’est pas très propre. Il y a des fuites dans les douches et les toilettes. Il y a des odeurs nauséabondes. Donc les conditions de vie sont difficiles et le vacarme des avions qui décollent toutes les deux minutes ajoute de l’angoisse à tout ça. J’ai déjà visité une prison et je peux vous assurer que les conditions n’étaient pas aussi terribles. C’est le désespoir total quand on est là dedans. Par ailleurs, même s’il y a de l’eau qui coule à certains endroits, les retenus se sont plaints de manquer d’eau et de ne pas avoir accès aux fontaines la nuit. Elles ont été réparées très vite avant que l’on vienne, car la Cimade avait dénoncé cet état de fait.
Vincent Eblé – Ça relève presque de l’appréciation personnelle de savoir quel est le niveau de confort qui convient sur ce type d’établissement. On n’est pas dans un lieu d’incarcération, on est en présence de personnes qui n’ont fait l’objet d’aucune condamnation même si elles sont suspectées d’être en situation irrégulière. On leur doit un minimum. Il y a une part de subjectivité dans l’appréciation que l’on porte en disant que c’est inacceptable ou juste convenable. Les locaux de nature administrative sont climatisés, mais bizarrement dans les lieux d’habitation, il faisait extrêmement chaud. Il y a un tas de choses qui sont absolument avérées et véridiques. Quand on vous dit que l’intimité n’est pas respectée, c’est parfaitement exact. Quand on vous dit que l’eau est distribuée au compte-goutte, ce n’est pas forcément faux.
Yves Daudigny – Je ne suis pas un spécialiste de la question, mais mon sentiment est partagé entre malaise, compassion et en même temps beaucoup d’interrogations sur les conditions de vie en général et la politique que nous menons vis-à-vis des étrangers. Tout lieu de privation de liberté est un lieu qui comporte une forte dose d’inhumanité. Dans le cas du CRA, elle est accentuée par le caractère totalement minéralisé des lieux. Les fontaines du quartier des hommes sont cassées et la propreté n’est pas assurée. Ces conditions très difficiles sont génératrices de détresse morale et de problèmes psychologiques. J’ai visité des prisons. Il y a ce caractère commun qui est la privation de liberté. Mais ce qui heurte là, c’est que la retenue n’est pas prononcée dans le cadre d’une décision de justice. On ressent un sentiment d’injustice en visitant ces personnes et en faisant le constat de leur détresse.
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Quelle a été la réponse des fonctionnaires de police à vos observations ?
Vincent Eblé – La réaction des fonctionnaires était réservée à notre égard. Ils n’ont pas fait valoir qu’ils pensaient exactement le contraire de nous. Ils sont restés très prudents et attentifs à ne pas nous donner des éléments qui laisseraient à penser que leur attitude habituelle est caractérisée par une exaspération à l’égard de la population dont ils ont la charge. Pour eux, il n’y aurait rien d’anormal dans ce CRA évidemment. En même temps, c’est eux qui sont éventuellement en cause dans ces comportements déviants qui ont été dénoncés.
Claudine Lepage – Les fonctionnaires ont dit que les retenus faisaient des actes de malveillance sur le matériel et que quand ils demandaient à réparer quelque chose, les retours de l’administration n’étaient pas immédiats.
Avez-vous rencontré les retenus ? Les entretiens ont-ils eu lieu sans la surveillance de l’administration ?
Vincent Eblé – On les a rencontrés. A certains moments, on a pu bavarder, mais ce n’était pas aussi facile qu’on aurait pu le penser. (Les policiers) étaient nombreux et toujours un peu autour de nous. Mais ils nous ont laissés procéder aux entretiens selon notre volonté.
Claudine Lepage – L’administration était à côté, mais les retenus parlent. Ils ne semblaient pas avoir spécialement peur. En fait, ce qu’ils déplorent ce sont les conditions lamentables dans lesquelles ils doivent rester. Et ils n’ont pas tous le même profil. Certains sont des détenus qui sortent de prison et qui attendent d’être expulsés. D’autres ont été pris à leur arrivée en France. Et puis, il y a des gens qui habitent en France depuis des décennies… Un jour, au détour d’un contrôle inopiné et n’ayant pas les papiers nécessaires, ils se sont retrouvés là. Ils ont des familles, travaillent, payent des impôts et subitement, sont menacés d’être expulsés vers un pays qu’ils ne connaissent plus.
Yves Daudigny – Ça pose des questions sur la politique d’enfermement. Qu’est-ce que ces personnes font là ? Comment des personnes de toutes nationalités, qui vivent en France et parlent français depuis parfois vingt ans, peuvent se retrouver dans cette situation ? Cette question me paraît fondamentale.
Pour autant, considérez-vous qu’il est normal qu’une personne ayant fini de purger une peine de prison soit enfermée par une mesure administrative ?
Claudine Lepage – Je pense qu’il faut peut-être se montrer un petit peu plus nuancé. Je ne sais pas à quoi ils ont été condamnés ni ce qu’il s’est passé. Je ne sais pas ce qui leur était reproché. Peut-être qu’il ne faut pas faire de différence, mais voilà…
La situation des personnes que vous évoquez interroge. Mais lorsqu’il s’agit de réfugiés, qui ne sont pas forcément intégrés mais fuient des persécutions, cela ne pose-t-il pas également question ?
Yves Daudigny – Oui, la question est plus qu’évidente. Pour moi, il est inacceptable que des réfugiés puissent se retrouver là.
Que dit l’administration au sujet des actes de désespoir très réguliers depuis cet hiver et des récentes tentatives de suicide ?
Claudine Lepage – Dans un premier temps, l’administration a nié qu’il y ait des tentatives de suicide. Notamment celles qui ont mené au retrait de la Cimade. Ils nous ont dit que c’étaient des tentatives de fuite. Les retenus seraient devenus violents lorsque ces tentatives auraient été stoppées. On a demandé si les personnes en question étaient toujours là et on nous a répondu que ce n’était pas le cas. Ensuite, une personne qui était plus disposée à parler a admis l’existence de tentatives de suicide récurrentes et des ingestions d’objets. Tout ça reste assez mystérieux.
Vincent Eblé – Ils n’auraient pas vu de tentatives de suicide, mais une tentative d’évasion qui s’est terminée par le fait qu’un mec s’est pris lui-même en otage en s’enroulant du barbelé autour du cou sans se faire une égratignure. Ils ont réagi en minorant un certain nombre de faits et en les qualifiant de manière plus anodine que ce qui a été dit.
L’administration a tenté de minimiser le sérieux de ce type d’acte ?
Claudine Lepage – Il y a eu cette tentative lorsque les retenus parlaient un peu trop de la maltraitance et des conditions de vie. (L’administration) nous disait, en aparté, que c’était du cinéma, qu’ils exagéraient, etc.
Avez-vous senti que les migrants qui ont décidé de vous parler risquaient d’en subir les conséquences de la part de l’administration ?
Claudine Lepage – Ça, je ne peux pas vous dire. Disons que d’après ce que l’on a compris, il y a plusieurs fonctionnaires de la PAF qui sont plus violents que d’autres. (Les retenus) ont dénoncé les violences commises par quelques-uns, mais pas par (les policiers) qui étaient avec nous.
Yves Daudigny – Je n’ai pas eu un sentiment d’inhumanité dans les comportements des policiers. Mais ça ne veut rien dire, ce propos étant limité par le fait que leur rôle est de maintenir des personnes en privation de liberté. C’est un acte qui, en lui-même, est violent.
Pour finir, pensez-vous que le retrait de la Cimade soit justifié dans les conditions actuelles ?
Vincent Eblé – Oui, bien entendu. La Cimade est bien meilleure juge que nous. Elle est présente depuis longtemps sur les CRA alors que nous n’y avons passé que quelques heures. Je ne vois pas comment je pourrais avoir un avis divergent de la Cimade, une association parfaitement respectable qui traite de ces questions de réfugiés depuis des lustres. Je ne pense pas qu’ils versent dans une instrumentalisation. Rien ne me permet de remettre en cause cette décision et j’ai toute confiance en eux.
Claudine Lepage – C’est difficile à dire. S’ils se sont retirés, c’est qu’ils avaient de bonnes raisons, mais le résultat c’est que ces personnes sont encore plus laissées à elle-même. Elles n’ont pas accès à leurs droits et je trouve que la présence de la Cimade leur manque. D’après ce que les employés de la Cimade nous ont dit, ils étaient dans leur bureau lorsqu’il y a eu ces tentatives, soit d’évasion soit de suicide. Ils ont dit qu’ils avaient peur et que ça les a conduits à se retirer. On sait que ça ne se résume pas à cela et que cette décision peut s’expliquer par un climat de violence quotidien. Si ces personnes sont là tous les jours, il y a un moment où elles craquent.
Yves Daudigny – Je me suis vraiment posé la question. Quand on a commencé nous mêmes à subir cet enfermement, ou du moins à le vivre, dans des locaux qui ne sont pas dignes d’accueillir des êtres humains, nos sentiments étaient partagés. Est-ce que ça justifiait le départ de l’association ? Les fonctionnaires de police ont dit qu’ils ne le comprenaient pas. Ce que j’ai ressenti c’est qu’aujourd’hui, la situation est tendue entre la police et la Cimade. J’espère que leur retour pourra se faire dans l’intérêt des personnes retenues. Mais il se fera dans des conditions difficiles. Un fonctionnaire nous a dit : « S’ils viennent, on leur dira bonjour et au revoir, mais il n’y aura plus de contacts et d’échanges importants. » Visiblement, un fossé s’est creusé.
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