Des « syndicalistes pistonnés » : trois journalistes du Point passaient vendredi au tribunal pour avoir ainsi qualifié les responsables d’Alliance police nationale dans un article.
Les journalistes du Point Jean-Michel Décugis, Christophe Labbé et Olivia Recasens étaients convoqués ce vendredi devant la 17e chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris. Leur tort ? Avoir utilisé à plusieurs reprises le mot « pistonnés » dans un article de juillet 2010, à propos de syndicalistes policiers promus quelques semaines plus tôt.
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Tous les ans, une liste de policiers détachés (qui ne sont pas sur le terrain), comme les permanents syndicaux ou certains employés de ministères, est transmise à l’administration chargée de gérer l’avancement des carrières. Dans sa mouture du 30 juin 2010, cette liste, surnommée « liste des ponctus », hissait au « grade » de brigadier chef « RULP » (Responsable d’une Unité Locale de Police) une douzaine de détachés.
Selon l’article du Point, la présence, au sein de cette promotion 2010, du n°1 et du n°2 du syndicat Alliance, avait heurté dans la maison bleue. Les journalistes ajoutaient que le syndicat, « minoritaire mais réputé proche de l’Elysée », avait été le seul en 2008, à signer un accord mettant fin aux heures supplémentaires.
En contrepartie, l’executif aurait glissé l’âge minimum pour être « RULP » de 52 ans à 45 ans. Deux ans plus tard, la promotion simultanée du secrétaire général d’Alliance Jean-Claude Delage et de son adjoint Frédéric Lagache, 48 et 46 ans, pousse les journalistes à les qualifier en titre de l’article de « syndicalistes pistonnés ». Résultat : une plainte en diffamation.
« J’ai l’impression de lire une feuille de chou syndicale »
Nous voilà donc ce vendredi dans une « chambre de la presse » entièrement vide à l’exception des parties, d’une mouche des plus bruyantes et d’une vieille dame habituée du Palais de Justice qui écoute les débats d’un air distrait. Dès les premières minutes, Jean-Claude Lagache donne le ton.
« Je suis très atteint par ces accusations (…). J’aurais vendu mes collègues pour quelque avantages personnels, c’est déshonorant. »
Et le secrétaire général de raconter comment l’article s’est rapidement retrouvé photocopié sur les tables des commissariats. Son second passe la pommade aux journalistes, notamment Jean-Michel Decugis, qu’il trouve « très professionnel », mais assène : « J’ai l’impression de lire une feuille de chou syndicale. » Sous-entendu : de l’autre bord.
Les deux syndicalistes nient en chœur toute proximité avec l’Elysée. « Et puis ça veut dire quoi, ‘réputé proche de l’Elysée’ ? Tous les reponsables syndicaux cotoient le Président ou le ministre (de l’Intérieur, ndlr), c’est notre boulot », se défend Delage. L’autre point sensible de l’article est l’éclairage des accords de 2008, signé par les seuls cadres d’Alliance. La vision « réductrice et tronquée » des journalistes aurait occulté des mesures majeures adoptées grâce à eux.
Secret de polichinelle
La parole est aux journalistes. Christophe Labbé est le seul présent du trio.
« Notre volonté était d’éclairer le lecteur sur une pratique particulière : la cogestion de l’avancement des carrières entre les syndicats et l’administration. A partir d’un exemple précis tiré de l’actualité, qui était la publication de la liste de ‘ponctus’. »
Les deux filcs remuent sur leur chaise, secouent la tête. Labbé se penche ensuite sur le taux de syndicalisation record dans la police : « Ce n’est pas parce qu’ils ont la fibre syndicale, mais bien parce que cela favorise l’avancement. » « Secret de polichinelle », « jeu de casino », le journaliste raconte que « le gouvernement a l’habitude de récompenser le syndicat qui évite les troubles ».
L’avocate des policiers l’asticote. « Maintenez-vous le terme ‘piston’ à propos de cette pratique de cogestion de l’avancement ? », la réponse fuse : « Oui ! (…) C’est un grade exceptionnel, rare, et là vous en avez trois sur dix à la direction d’Alliance », ajoute le journaliste.
Marc Louboutin, appelé à témoigner par la défense, est un ancien de la « maison », passé lui aussi par le syndicalisme. Il explique que « la couleur du gouvernement en place détermine quels syndicats seront favorisés ».
Une enquête jugée sérieuse par la procureure
Dans sa plaidoirie, l’avocate d’Alliance s’acharne sur la présentation « tronquée » et « orientée » de l’article, preuve de la « mauvaise foi » des auteurs. Elle leur reproche également de n’avoir pas interrogé les principaux intéressés, et réclame 15 000 euros de dommages et intérêts pour chacun de ses clients ainsi qu’une publication du jugement dans le Point.
La procureure, si elle concède que le lien entre la signature des accords de 2008 et la promotion n’est pas prouvé, affirme que l’enquête des journalistes lui paraît « tout à fait sérieuse ». Le procédé de nomination des « ponctus » lui semble s’assimiler au « fait du prince ». Elle tranche donc en faveur de la bonne foi des journalistes. Coup dur pour les parties civiles, qui secouent la tête de dépit. La décision sera rendue le 14 octobre prochain.
Gino Delmas
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