Trois militantes Femen poursuivies pour “exhibition sexuelle » après avoir accueilli DSK seins nus lors de son arrivée au palais de justice de Lille en 2015, ont été relaxées. C’est la première décision de relaxe concernant les Femen, dont deux membres ont déjà été condamnées pour exhibition sexuelle en 2013 et 2014. Elvire Duvelle-Charles, l’une des activistes relaxées, a accepté de nous en dire plus.
Cette relaxe était-elle une surprise pour vous ?
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Elvire Duvelle-Charles – C’était en tout cas une première. Deux autres activistes ont été condamnées pour exhibition sexuelle, mais ont fait appel [Iana Jdanova a été condamnée à 1500 euros d’amende et 3 500 euros de préjudice matériel pour exhibition sexuelle et dégradation après avoir détruit une statue de Poutine au musée Grévin en juin 2014 ; Eloïse Bouton a été condamnée à trois mois de prison avec sursis pour exhibition sexuelle dans l’église de la Madeleine en décembre 2013, ndlr).
C’est aussi un soulagement pour une question de principe : ça aurait été une vaste blague qu’en France on soit condamnées pour des faits d’exhibition sexuelle, et donc qu’on soit considérées comme des délinquantes sexuelles, face à DSK… J’espère que les autres activistes seront à leur tour relaxées. Ça témoigne du côté indécis de la justice française et de l’opinion en général concernant la nudité de la femme et notre mode d’action, qui dérangent sans que personne ne comprenne vraiment pourquoi.
L’exhibition sexuelle implique une intention sexuelle, pas seulement une exhibition de parties sexuelles. C’est absurde de nous prêter ces intentions, alors qu’on est justement dans une posture inverse, dans la réappropriation de notre corps en tant qu’arme. On se départ de cette sexualité au moment de nos actions pour être dans quelque chose de plus agressif, qui n’a rien à voir avec une quelconque séduction.
Procès du «Carlton» : des Femen perturbent l… par leparisien
Pour vous, le sein est donc une arme politique ?
Oui, et c’est de plus en plus utilisé : par les intermittents, les zadistes, certaines femmes du mouvement Black Lives Matter, des militantes péruviennes pour le droit à l’avortement. Ça relève quand même du contre-sens que la France, qui se veut pays des droits de l’Homme et a Marianne comme symbole républicain, censure un tel mode d’action. Ces poursuites sont inquiétantes et confirment que le sexisme est encore très prégnant dans notre société.
La nudité est présente partout. On allume la télé et on voit des femmes nues qui vendent un savon, du lait, n’importe quoi. Il y a donc une forme de tolérance vis-à-vis de la nudité des femmes dans un certain contexte : celui du marketing, du commerce, des clips. Mais dès lors que la nudité se fait politique, que la femme se retrouve dans une position qui n’est pas celle où on l’attend, ça devient choquant. Comment se fait-il que les gens soient choqués par une action où l’on saute sur la voiture de DSK seins nus pendant 5 minutes et non par des publicités mettant en scène des femmes dénudées? C’est quand même plus humiliant et plus exhibitionniste de déshabiller une femme et de l’exposer sur un panneau publicitaire sans autre but que de vendre un produit !
Quelle est la symbolique du sein nu ? Que représente-t-il à vos yeux ?
Toutes les atteintes aux droits des femmes tournent aujourd’hui autour de leur corps, que cela soit la question de l’avortement, de l’exhibition sexuelle, de la contraception. L’inégalité des salaires est justifiée par notre habilité à faire des enfants. C’est donc important de se réapproprier ce corps et de lui donner un autre sens. Et ce n’est pas seulement important pour nous, activistes qui nous dénudons, ça l’est aussi pour la perception des gens, qui vont pouvoir associer la nudité de la femme à un autre type d’image, à un outil de revendication fort et beau.
Notre objectif c’est de passer de la femme-objet à la femme-sujet. En arborant une couronne de fleurs, des mini-shorts, du maquillage, des seins nus, on essaye d’incarner la femme-objet qui sortirait de sa publicité pour prendre la parole contre son créateur. De plus en plus d’étudiants et de lycéens sont intrigués par cette image et nous contactent pour nous dire que ça leur a permis de voir les choses sous un autre angle, de se poser des questions. C’est le même principe que la Slutwalk, ces femmes qui défilent dans des tenues provocantes pour rappeler que c’est à elles seules de décider ce qu’elles font de leur corps, de faire ce qu’elles ont envie de faire.
Les Hommen n’ont par exemple jamais été condamnés pour exhibition sexuelle, si?
Non, jamais ! Ils étaient placés en garde à vue pour « rébellion », ce qui est révélateur d’une certaine différence de traitement… L’exhibition sexuelle c’est quand même une maladie mentale, et être condamné pour ce motif signifie ne plus avoir le droit de travailler dans la fonction publique, auprès des enfants. C’est gravissime comme accusation. Ça dépasse le simple fait d’avoir une amende. Le procureur a quand même requis une peine d’emprisonnement de trois mois avec sursis dans ce procès. Si on avait été condamnées, on aurait refait une action dans la foulée. J’aurais alors bien voulu voir l’Etat nous mettre en prison pour acte féministe !
Vous sentez-vous particulièrement en danger à l’heure actuelle ?
Bien sûr. Toutes les féministes sont en danger. Nous le sommes particulièrement en raison de notre virulence sur le thème de la religion. On n’a jamais eu peur de critiquer les religions ouvertement, de les pointer du doigt. Luz et Charb en rigolaient tout le temps. Ils nous appelaient leurs « meilleures amies de combat », en nous disant qu’on faisait en action ce que eux faisaient en dessins. Mais on n’a pas attendu les attentats de Bruxelles pour se sentir en danger. Je vous rappelle qu’après l’attaque contre Charlie Hebdo, il y a eu un attentat à Copenhague. Des tirs de kalashnikov ont retenti au moment où Inna Shevchenko (leader des femen – ndlr) s’exprimait sur la liberté d’expression dans le cadre d’une conférence.
Cette menace nous empêche aujourd’hui d’avoir un quartier général pour accueillir le public, on ne se rassemble plus dans un endroit connu et fixe. On reçoit quotidiennement des menaces de mort. Mais dorénavant, on sait qu’il n’y a pas que ceux qui s’expriment qui sont visés. Donc, tant qu’à être en danger, autant l’être en se battant pour nos libertés et nos droits et dire ce qu’on a à dire plutôt qu’être réduit au silence par la terreur. Il ne faut pas avoir peur d’être virulent. C’est parfaitement sain.
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