Le Sénat a adopté aujourd’hui en deuxième lecture la proposition de loi sur la protection de l’identité. Une des principales modifications apportées à ce texte par les membres de la chambre haute, dont certains ont tenu à souligner à cette occasion toute l’importance que revêt leur rôle en matière de protection des libertés publiques, consiste […]
Le Sénat a adopté aujourd’hui en deuxième lecture la proposition de loi sur la protection de l’identité. Une des principales modifications apportées à ce texte par les membres de la chambre haute, dont certains ont tenu à souligner à cette occasion toute l’importance que revêt leur rôle en matière de protection des libertés publiques, consiste à réaffirmer la nécessité de limiter l’usage des empreintes digitales des détenteurs de la future carte nationale d’identité biométrique (lesquelles seront stockées dans le fichier TES : Titres Électroniques Sécurisés).
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Ces empreintes ne devront être utilisées qu’à des fins d’authentification administrative et ne pourront donc aucunement servir des objectifs d’identification judiciaire comme le voulait notamment le ministre de l’Intérieur Claude Guéant. Même si beaucoup pourront se réjouir de ce vote qui tend à limiter l’ingérence des pouvoirs publics dans la sphère privée de chacun, trois remarques importantes s’imposent cependant :
1 – Que l’on parle pour TES de lien faible (ne rendant possible que la détection de tentatives de fraudes identitaires) ou de lien fort (permettant une exploitation des empreintes à de larges fins d’enquêtes policières), force est de constater qu’un fichier dactyloscopique de la population va bel et bien être constitué alors même que la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) s’est toujours opposée à la mise sur pied de telles bases de données biométriques centralisées. Ainsi, la CNIL avait-elle encore rappelé dans son avis en date du 11 décembre 2007 relatif au décret du ministère de l’Intérieur (4 mai 2008) instituant le passeport biométrique que les impératifs évoqués par la place Beauvau pour justifier la création de TES ne lui apparaissaient pas suffisants : « Tout en prenant acte des garanties prises pour assurer la sécurité de cette base centrale d’empreintes, qui sera séparée des autres fichiers de gestion et accessible uniquement dans des conditions strictement encadrées, la Commission a estimé que le ministère n’avait pas apporté d’éléments convaincants de nature à justifier la constitution d’un tel fichier centralisé. Elle a d’ailleurs observé que certains États membres de l’Union Européenne (Allemagne par exemple) ont mis en œuvre les passeports biométriques sans pour autant créer des bases centrales d’empreintes digitales. »
2 – Pour sécuriser les procédures de délivrance de la carte nationale d’identité, il est un fait que l’on ne discute plus tant il semble désormais revêtir les apparences de l’évidence : il est devenu absolument nécessaire de recourir à la biométrie. Rappelons néanmoins que rien n’oblige les pouvoirs publics à privilégier ce choix (en particulier surtout pas le règlement européen du 13 décembre 2004 relatif au passeport biométrique qui ne concerne nullement les cartes nationales d’identité). Rappelons aussi que d’autres « solutions » (comme l’a également suggéré à plusieurs reprises la CNIL) peuvent être envisagées afin de sécuriser ces procédures, notamment rendre plus fiable l’état civil. Pourquoi dès lors un tel engouement politique pour le biométrique (est-ce la seule volonté de défendre les intérêts de quelques industriels français ?) alors même que n’ont jamais été rigoureusement évaluées et discutées par le Parlement toutes les conséquences néfastes qu’une telle option est susceptible d’induire sur le vécu des individus ?
3 – La proposition de loi adoptée porte sur la protection de l’identité et vise, c’est là son objectif principal, à lutter contre les usurpations d’identité. Or, lorsqu’on examine attentivement les différents rapports et débats relatifs à cette proposition, on se rend vite compte que personne ne s’accorde sur l’importance quantitative de ces usurpations d’identité. Tout comme en 2005 lors du projet de loi (avorté en raison du fort mouvement de contestation qu’il avait suscité) qui était destiné à instituer une première carte nationale d’identité biométrique (INES : Identité Nationale Électronique Sécurisée), le ministère de l’Intérieur est dans l’incapacité de fournir des données précises en la matière. Une question fondamentale se pose alors : n’apparaît-il pas disproportionné de ficher biométriquement l’ensemble de la population française pour faire face à un phénomène dont nul actuellement ne semble en mesure d’apprécier précisément l’ampleur ? La forme que revêt en l’occurrence le processus décisionnel apparaît peut être symptomatique, comme le pointait déjà en 1967 Jürgen Habermas dans son ouvrage La technique et la science comme « idéologie », d’une tendance plus générale qui tend de manière croissante à transformer le politique en simple exécutant des mesures définies par des experts (en solutions high tech pour faire face aux enjeux de sécurité) à partir d’une logique selon laquelle il n’y a pas finalement d’autres problèmes que ceux auxquels la technique finit par trouver des solutions.
Pierre Piazza (Université de Cergy-Pontoise)
Du même auteur :
* Aux origines de la police scientifique. Alphonse Bertillon, précurseur de la science du crime (éditions Karthala, 2011, sous la direction de P. Piazza).
* L’identification biométrique. Champs, acteurs, enjeux et controverses (éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2011, sous la direction de P. Piazza et A. Ceyhan).
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