L’exposition “Travaux de dames ?” présentée jusqu’au 17 septembre aux Arts Décoratifs, abrite des trésors d’inventivité et d’audace. Injustement éclipsées, les designeuses exposées ont toutes révolutionné leur champ de création. Petit aperçu, en cinq noms.
Visionnaires, inclassables et oubliées. Voilà comment pourraient être définies, en trois mots, la plupart des artistes exposées en ce moment aux Arts Décoratifs. Intitulée « Travaux de dames ? », l’exposition réunit 200 pièces issues des fonds du musée. Les sous-sols abritent encore des centaines de pépites, à en croire Karine Lacquemant, assistante de conservation au musée et l’une des deux commissaires de l’exposition.
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Le Comité des Dames, fondé au sein des Arts Décoratifs en 1895, fit la part belle aux « arts de la femme ». Comprenez, arts domestiques, arts « mineurs ». La trentaine d’artistes exposées jusqu’au 17 septembre ne l’entendait pas de cette oreille. Dès la fin du XIXe siècle, elles brouillent la limite entre arts décoratifs et beaux-arts.
Suzanne Lalique, Janine Janet, Charlotte Perriand, Maïmé Arnodin et Denise Fayolle ont traversé de bout en bout le XXe siècle, et n’ont eu de cesse de se réinventer en tant qu’artistes, de réinventer l’époque. Elles partagent un enthousiasme créatif hors du commun. Comme leurs voisines d’exposition, elles mélangent joyeusement les genres, les médiums, les matières et ouvrent des perspectives inédites.
Suzanne Lalique-Haviland (1899-1989)
L’inventivité ahurissante de Suzanne Lalique n’a d’égal que la variété des supports qu’elle utilise pour y apposer ses motifs : vases, paravents, bijoux, assiettes, vitraux… Exposée au Musée des beaux-arts de Limoges en 2013, elle ne bénéficie pas d’une réelle notoriété. L’histoire aura plutôt retenu l’œuvre de son père, René Lalique, éminent verrier-bijoutier de la Belle Epoque et inventeur du verre opalescent.
Un héritage dont elle tire le meilleur parti très jeune, dessinant flacons, vases et autres vitraux pour son père. De 1910 à 1929, elle contribue à l’essor de la marque familiale, sans jamais apposer sa signature. En 1917, elle profite de son mariage avec Paul Haviland, héritier d’une famille de célèbres fabricants de porcelaine, pour créer des services de table. Sa plus longue collaboration aura été avec la Comédie-Française, pour laquelle elle crée pendant quarante ans décors et costumes, dès 1937. Décors luxueux pour trains et paquebots, création textile pour des maisons de soierie sont d’autres de ses faits d’arme…
Maïmé Arnodin (1916-2003) et Denise Fayolle (1923-1995)
Les deux femmes sont tranquillement affairées à révolutionner la mode chacune de leur côté dans les années 60. Maïmé Arnodin se passionne pour le prêt-à-porter, et monte notamment le premier bureau de style couplé à une agence de pub, ou encore signe, en 1961, un « alphabet des couleurs », qui n’est pas sans rappeler le fameux nuancier Pantone. Denise Fayolle développe le beau à bon marché au sein du catalogue Prisunic. Elle milite pour le jean, des objets pratiques mais beaux, marquant ainsi toute l’esthétique de masse des années 60.
Les deux femmes allient leurs talents en 1968, en créant l’agence de conseil Mafia (Maïmé Arnodin Fayolle Internationale Associés). A la fois directrices artistiques et publicitaires, elles martèlent leur slogan : « prix, qualité, style ». En couple dans la vie comme au travail pendant quarante ans, elles auront fait poser Jerry Hall devant Helmut Newton, promu Opium d’YSL et œuvré à imposer de nombreux artistes, dont beaucoup de femmes.
Charlotte Perriand (1903-1999)
Le talent de Charlotte Perriand a bénéficié d’une ou plusieurs expositions parisiennes dédiées, tout comme ses voisines de salle Niki de Saint-Phalle et Sonia Delaunay. Sa notoriété a été réhabilitée. Pendant de nombreuses années, sa signature avait été tout bonnement effacée du mobilier conçu avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret, pendant l’entre-deux-guerres. Pionnière du design avant leur collaboration, elle crée à 24 ans un projet « Bar sous le toit » qui déplace le noyau de la fête de la table basse vers le bar, entièrement en cuivre nickelé et aluminium anodisé.
Le Corbusier attendait d’elle qu’elle donne vie au mobilier. « Créer un équipement aussi subtil, complexe et sensible que le corps humain, voilà notre tâche », estimait-elle. Charlotte Perriand conçoit fauteuils, transats, tabourets, mais aussi un chalet, un refuge bivouac (1936-1937), des stations de ski (1967-1986). Toujours avec l’idée de rendre l’espace le plus fonctionnel et humanisé possible. Son enthousiasme ne s’émoussera pas et elle partira découvrir l’Indochine, le Brésil, l’Inde. Elle s’éprendra du Japon. Constante dans son engagement, elle laisse derrière elle une oeuvre à la hauteur de ses ambitions révolutionnaires de jeunesse.
Janine Janet (1913-2000)
C’est pour ses œuvres éphémères que Janine Janet était reconnue. De 1958 à 1968, elle confectionne des vitrines pour Balenciaga. La créatrice déploie une ingéniosité incroyable dans des mises en scène surréalistes et baroques. Coquillages, écorces, pierres, madrépores sont agencés pour composer des scènes arcimboldesques. Immortalisées par Brassaï, entre autres, ses installations éphémères furent par la suite plébiscitées par Balmain, Givenchy ou Nina Ricci.
En réaction au fonctionnalisme moderniste, et puisant dans ses souvenirs d’enfance réunionnais, Janine Janet développe une esthétique insolite, aux inspirations mythologiques. Sa terre natale lui rend hommage, en 2006, en installant sa Vénus dans le hall de la préfecture de la Réunion. D’autres sculptures, commandées par Cristobal Balenciaga, constituent son héritage tangible.
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