Le premier syndicat des travailleurs du sexe vient d’être créé. La réponse à une situation de précarité et d’insécurité de plus en plus grave depuis l’instauration du délit de racolage passif, en 2003.
(Illustration : Olislaeger)
A l’époque, en 2003, la mobilisation des prostitués devant le Sénat avait fait grand bruit. Les “régulières” comme les “occasionnelles” étaient venues dénoncer l’article 225-10-1 du code pénal instaurant un délit de “racolage passif”, craignant que cela ne les renvoie à une précarité encore plus forte. Et elles ne s’y étaient pas trompées. Six ans plus tard, le bilan dressé par le collectif Droit et prostitution est catastrophique : augmentation des violences, tant policières que de la part des clients, retour vers une plus forte clandestinité.
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En France, la prostitution n’est pas illégale, seul le proxénétisme est réprimé ainsi que le racolage dit “actif”. En 2003, Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, faisait adopter, au nom de la lutte “contre la traite des êtres humains” et de la “protection” des prostituées, ce nouveau délit de racolage. L’effet a été immédiat : les prostitués ont quitté les trottoirs pour éviter la répression. Car il n’en faut pas beaucoup pour être verbalisé : porter une certaine tenue vestimentaire, laisser entendre qu’on attend, le fait de marcher. Les procès-verbaux et les gardes à vue se sont multipliés, ainsi que les réquisitions des camionnettes.
“Avec toute la publicité qui a été faite sur le racolage passif à l’époque, les filles ont été de plus en plus pourchassées, explique France Arnould, directrice de l’association les Amis du bus des femmes. La prostitution la plus visible a disparu des trottoirs, pour aller dans les bois. Cela a eu pour effet immédiat de les rendre invisibles et de les insécuriser, tant elles sont désormais éparpillées.” Maintenant, il faut donc s’enfoncer au coeur des forêts pour leur distribuer des préservatifs et leur offrir écoute et accompagnement.
France Arnould observe aussi une détérioration de l’état psychique. “Beaucoup ont très mal vécu les gardes à vue à répétition. Elles ont l’impression d’être perçues uniquement comme des délinquantes, de ne pas être des personnes à part entière.” A la suite d’une enquête menée en 2006 par la Commission nationale citoyens-justice-police (qui réunit la Ligue des droits de l’homme, le MRAP, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature) qui dénonçait “l’arbitraire policier”, les choses se sont néanmoins une peu améliorées, notamment dans le bois de Vincennes. Il faut dire que la police est aussi passée à autre chose, notamment à la chasse aux sans-papiers.
Ce retour à la clandestinité a eu aussi pour effet d’augmenter les prises de risques. “Le préservatif a toujours été un outil de travail. Ces personnes n’ont pas envie de tomber malades”, rappelle France Arnould. Mais parce qu’il y a moins de clients, et donc moins d’argent, elles se retrouvent dans une plus forte subordination. Ce que confirme Miguel Ange Garzo de l’association Arcat. “On est dans une situation de survie : elles ont eu tout juste de quoi bouffer. Dans ces conditions, quand tu n’as pas travaillé de la journée, tu acceptes plus facilement n’importe quoi, notamment des rapports ou des fellations non protégés. J’ai même vu des passes payées en tickets restaurant !”
C’est tout cela que le collectif Droits et prostitution a rappelé le 20 mars lors des Assises de la prostitution, accueillies par le Théâtre de l’Odéon. Eloignées des débats stériles sur l’abolition de la prostitution, ces Assises ont donné la parole à ces hommes et femmes de l’ombre dont les voix sont toujours tues. Et ce fut aussi le lieu d’une annonce importante : la création du premier syndicat français des travailleurs et travailleuses du sexe, le Strass.
Son objet est “la promotion et la défense des intérêts collectifs et professionnels de toute personne amenée à échanger un service de nature sexuelle moyennant contrepartie et de toute personne salariée ou indépendante ou travaillant pour son propre compte exerçant une activité commerciale liée à la sexualité”. L’idée est de proposer un statut légal qui offre le respect du droit du travail, assure un droit fiscal et des droits sociaux. Car si les prostitués paient des impôts (au titre des bénéfices non commerciaux), ils n’en tirent aucune protection. Pas d’assurance- chômage, pas de retraite, pas de droit à la Sécurité sociale autre que celui de la CMU ou l’AME (l’Aide médicale de l’Etat). Thierry Schaffauser, travailleur du sexe, cofondateur des Putes, voit aussi dans ce statut le moyen d’être enfin reconnu, en tant que travailleur. “On nous dit qu’on ignore la question de la contrainte économique. Mais quelle est la différence avec les autres métiers ? Tout le monde travaille avant tout pour des raisons économiques.” Selon lui, c’est justement en étant légalisées que les prostituées pourront sortir de l’“esclavage”. “Il faut sortir d’une conception du réglementarisme datant du XIXe siècle pour concevoir un statut permettant aux prostituées d’exercer sans pour autant tomber sous le joug d’un proxénétisme d’Etat ou d’entreprise”, souligne le collectif Droits et prostitution qui souhaite que seul le proxénétisme de contrainte soit condamné.
Ailleurs dans le monde, notamment aux Pays- Bas et en Inde, de tels syndicats existent. Certains sont même rattachés à des confédérations. En France, on en est encore loin. Mais la création du Strass pourrait constituer une avancée non négligeable pour les prostitués, en leur donnant enfin des droits et une visibilité.
Emmanuelle Cosse
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