La première prison réservée aux transsexuels ouvrira ses portes en mars en Italie. Victimes de violences, placés dans des établissements pour hommes, privés de traitements hormonaux… La situation des trans en milieu carcéral n’est pas meilleure en France. Enquête.
On apprenait mardi sur le blog d’Eve Mongin, avocate française installée en Italie, l’ouverture d’une prison un peu particulière. L’établissement pénitentiaire de Pozzale, en Toscane, sera désormais réservé aux transsexuels ou transgenres, une centaine incarcérés dans le pays.
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En France, impossible de connaître leur nombre exact. « Une infime minorité de la population carcérale, mais les prisons de Fleury-Mérogis, Caen ou Marseille, en accueillent quelques-uns en permanence », explique François Bès, de l’Observatoire international des prisons (OIP).
« On ne sait pas combien ils sont, car leur spécificité reste un tabou. Ils sont placés dans les prisons pour hommes ou pour femmes, en fonction de leur état civil, point-barre », se désole t-il.
Moqueries, humiliations, violences
Cette affectation automatique pose problème pour les personnes « en transition », qui n’ont pas encore obtenu –voire demandé- le changement d’état civil. Ainsi, des trans avec une apparence de femme, qu’ils aient ou non changé de sexe, se retrouvent dans des prisons d’hommes. Avec, à la clé, une intégration presque impossible, entre moqueries, humiliations et violences.
« La prison exacerbe toutes les formes de rejets : trans-phobie, homophobie ou racisme, de la part des détenus et des surveillants », regrette François Bès.
Les « solutions » sont laissées à la libre appréciation du directeur de la prison, au cas par cas. « La loi est muette sur le statut des transsexuels en général, alors en prison, c’est de la négociation, du pragmatisme, pas du droit !, explique l’avocat Emmanuel Pierrat. L’administration pénitentiaire se trouve vite démunie.»
Les mesures prises pour protéger les trans sont « loin d’être idéales », prévient donc François Bès. « Ils sont placés en cellule individuelles, dans des quartiers d’isolement normalement réservés aux délinquants « dangereux », n’ont pas accès à la plupart des activités et se promènent à des heures différentes, dans une petite cour grillagée », détaille t-il.
Pourtant, la situation s’est améliorée. En 1999, trois matons sont condamnés par le tribunal correctionnel d’Evry pour viols répétés sur des transsexuels à la prison de Fleury-Mérogis. Depuis, l’administration pénitentiaire leur porte une attention plus soutenue.
Dans cette même prison, les trans ont été regroupés dans un quartier dédié. Un membre du PASTT (association d’aide aux transsexuels) leur rend visite une fois par semaine. Une « cantine » (sorte d’épicerie carcérale) spéciale transsexuels a vu le jour. Le personnel pénitentiaire semble mieux informé et l’accès aux traitements hormonaux y est plus facile qu’ailleurs.
Refus de prescrire des traitements hormonaux
L’accès aux soins, « récrimination principale des détenus transsexuels dans leurs courriers », est loin d’être garanti partout, confirme Xavier Dupont, secrétaire général du Contrôleur des prisons.
« Certains médecins, pour des questions de moralité ou parce qu’ils ignorent tout de la question, refusent de prescrire ces traitements hormonaux », explique Laura Persell, de la commission prison d’Act Up.
Le cas de Chloé, qui purge parmi les hommes une longue peine de détention, mobilise les associations. Incarcérée dans un premier temps à Caen, cette transsexuelle dénonce dans une lettre discriminations, viols réguliers et déni des médecins, qui ont stoppé son traitement hormonal.
« Voir des attributs masculins réapparaître alors qu’on se sent femme, c’est très dur psychologiquement », note François Bès.
Chloé a commencée à se mutiler, allant jusqu’à tenter de « s’opérer elle-même ». Transférée à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes, elle continue à réclamer l’opération. « La demande est en cours, mais cela devrait prendre encore au moins 6 mois », selon François Bès.
Chloé a également demandé un changement d’état civil, « une procédure longue », explique Emmanuel Pierrat. « Alors que leur apparence change, les transsexuels restent pendant presque trois ans officiellement des hommes », détaille l’avocat.
En Italie, une solution « tentante mais discriminatoire »
« Dans un monde idéal, les personnes incarcérées devraient pouvoir choisir elles-mêmes comment se définir, mais vu l’état des prisons en France, et des droits de l’homme en prison, ça n’est pas prêt d’arriver », regrette Emmanuel Pierrat.
L’Italie a-t-elle choisie la bonne alternative en isolant les transsexuels ? La prison leur offre un refuge et garantit la poursuite de leur traitement hormonal.
« Ranger les détenus par catégorie, trans avec trans, toxico avec toxico ou fou avec fou, c’est une solution tentante », reconnait François Bès. Pour autant, il n’adhère pas à l’initiative italienne, « discriminatoire, à l’encontre de l’objectif final de réinsertion ».
Alors que la cour suprême de Londres a autorisé pour la première fois en septembre 2009 un détenu transsexuel non opéré à intégrer une prison pour femmes, impossible de connaître l’état actuel de la jurisprudence française, ou les éventuels projets. Contacté par nos soins, le ministère de la Justice n’a pas donné suite.
Cet article est la version longue d’un article paru dans le magazine Les Inrocks du 10 février.
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