Le sociologue et directeur de recherches au CNRS, Laurent Mucchielli revient sur le drame de Toulouse et l’implication du pouvoir politique dans l’affaire.
En début de semaine, vous estimiez sur le site des Inrocks que le risque de politisation du drame de Toulouse était plus faible que lors de l’affaire Paul Voise en 2002. Compte tenu de l’évolution de l’affaire, estimez-vous que ce soit toujours le cas ?
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Non bien sûr, j’ai parlé trop vite ! D’abord j’ai cru comme tout le monde la piste du néo-nazi qui dominait lundi dernier dans le débat public et qui n’était pas démentie par les pouvoirs publics alors que la police savait déjà qui elle recherchait. Ensuite j’ai sous-estimé l’ampleur de la médiatisation qui nous a offert une sorte de cas extrême du traitement médiatique des fait divers. C’est une véritable armée de journalistes qui est stationnée à Toulouse et qui a commenté pendant 4 jours minute par minute chaque faits et gestes, chaque bruit, chaque aller et venue des uns et des autres, donnant le plus souvent des détails sans intérêt mais organisant une sorte de show dramatique permanent. Tout le reste s’est arrêté. Le monde entier a paru tourner autour de Toulouse et cela me semble excessif. Du coup, les politiques sont eux-même embarqués dans une spirale infernale. Leurs moindres faits, gestes et paroles sont épiées. Et il faut dire qu’ils se sont bien prêtés au jeu.
Justement, la trêve politique décrétée après la tuerie était-elle justifiée selon vous ? A-t-elle été respectée ?
Cette idée selon laquelle la campagne électorale aurait été suspendue me semble erronée. Le pouvoir politique a totalement investi l’affaire. Bien entendu, jusqu’à un certain point c’est tout à fait normal et légitime compte tenu de la gravité de ces crimes. L’on attend d’un Président qu’il soit là aux obsèques des victimes, qu’il dise notre tristesse, notre indignation et notre révolte à tous devant ces crimes horribles. Mais je crois que le Président-candidat a surjoué le rôle pour des raisons politiques évidentes. Dramatiser les choses à ce point n’était pas nécessaire. Je ne suis pas sûr que sa décision d’impliquer toutes les écoles n’ait pas effrayé nos enfants plus qu’autre chose. Je pense aussi que l’annonce de l’activation du niveau « écarlate » du Plan Vigipirate était purement symbolique car inutile d’un point de vue technique. Mais c’était sans doute une façon de dramatiser aussi les choses face à « la menace terroriste » et aux peurs qu’elle éveille en nous.
Interrogé par le Monde, un ancien du RAID affirme que « l’opération a merdé ». Pensez-vous que les pressions politiques ont pu impacter sur la réussite des opérations ?
C’est une question que l’on peut légitimement se poser. Lorsque le temps de l’analyse sera venu, il faudra interroger le degré d’immixtion du pouvoir politique dans la conduite même des opérations policières, dans leur timing et finalement dans ce qui semble être un échec du RAID. Encore une fois, il est normal que le pouvoir politique fixe un cap et demande des résultats au nom de nous tous. Mais ensuite, il est très dangereux qu’il s’immisce dans le déroulement des opérations policières qu’il faut laisser aux professionnels qui en ont seuls la compétence.
La DCRI a reconnu qu’elle connaissait le nom du suspect présumé dès la tuerie de Montauban mais n’a pas pourtant pu prévoir ses trois passages à l’acte supposés. L’institution pourrait-elle sortir fragilisée de cette affaire ?
C’est naturellement l’autre grande question qui se pose. Comment quelqu’un ayant un tel parcours, allumant tous les clignotants du danger, a-t-il pu agir de la sorte et à plusieurs reprises ? Je n’ai pas la réponse mais ceci ajouté à ce que l’on a dit précédemment me fait penser que, plutôt que de multiplier les annonces sécuritaires comme le gouvernement commence à le faire, il sera nécessaire de créer à l’avenir une commission d’enquête parlementaire pour faire toute la lumière sur cette terrible affaire.
Propos recueillis par David Doucet
Laurent Mucchielli est l’auteur de Vous avez dit sécurité, Champ social Editions, collection Questions de société.
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