Dans huit jours, Soasig Chamaillard, une plasticienne nantaise de 37 ans, devait envoyer sa dernière pièce à la galerie Alain Daudet (Toulouse) ou elle exposait ses œuvres depuis mars dernier. Mais cette dernière a été contrainte de mettre fin à leur collaboration. En cause, les menaces d’ultra-catholiques choqués par son travail.
Une Vierge Marie moustachue en guise de Super Marie, une autre en power ranger, bioman, rock star ou wonderwoman. Soasig Chamaillard détourne et réinvente l’icône chrétienne à l’envi.
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“Un jour, mon père m’a offert une sainte vierge cassée, j’ai commencé à la transformer, à la replacer dans une époque, mon époque. Pour moi, la figure du super-héros masculin, c’est fini, j’ai voulu replacer la femme au centre de la société”, raconte-t-elle.
Dans cette démarche introspective, la jeune artiste n’a jamais eu l’intention de provoquer : ‘Je ne me suis jamais dit : je suis artiste, je vais pouvoir choquer des cathos’. Alors qu’elle expose dans une galerie nantaise depuis 2006, une galerie lui donne l’opportunité de s’exporter à Toulouse :
“Avant d’accepter notre collaboration, ils avaient bien compris que mes pièces ne pouvaient pas plaire à tout le monde, ils ont accepté en connaissance de cause. Ils n’imaginaient pas rencontrer des problèmes”
Mais dès la présentation de ses œuvres, les attaques “d’ultra-cathos” contre le travail de Soasig émergent. Menaces verbales et par courriels, “crachats sur la vitrine” de la galerie, le mécontentement gonfle rue de la Trinité. Et à force de pression, la maison Alain Daudet a renoncé au projet. Contacté par téléphone, son propriétaire estime avoir voulu “apaiser la situation” :
“Nous avons même adressé deux courriers consécutifs en expliquant notre démarche et en prenant l’exemple d’œuvres beaucoup plus choquantes dans l’histoire de l’art. »
Le premier courrier répondait aux accusations de « blasphèmes », le second annonçait la décision de la galerie de retirer ces pièces « jugées trop éloignées de l’image sacrée de notre Vierge Marie » (sic) . Pour l’artiste, la galerie “a fait ce qu’elle a pu, avant de jeter l’éponge en voyant les choses s’empirer”.
“La victoire des intégristes”
« Face à la censure, mettons les réac’ au placard » ont répondu les Dur-e-s à Queer, dans un communiqué publié le 2 juillet sur leur blog. Guillaume, membre du collectif nantais, ne jette pas la pierre à la galerie : “Je peux comprendre que ce genre de réactions puisse être usant”. Pour autant, le jeune homme déplore cette “victoire des intégristes” dans la ville rose : “On a vérifié la définition, il s’agit bien de censure : une pression mise pour empêcher la liberté d’expression”. Une préjudice jugé “inquiétant” par Soasig Chamaillard. “Ces atteintes sont de plus en plus nombreuses. Elles concernent non seulement la liberté artistique mais la liberté politique également”, explique l’artiste. Difficile pour elle de ne pas faire le rapprochement avec les récentes oppositions au mariage pour tous et au retrait de l’affiche du film l’Inconnu du lac à Versailles et Saint-Cloud.
“On ressent un climat, un terreau agité, entretenu auprès des pires [de la communauté catholique]” , ajoute Guillaume. Sans faire de lien direct entre ces différents évènements, il fait le triste constat d’un recul des mentalités : “Sous prétexte que des œuvres d’art déplaisent, on doit les retirer ?”, interroge-t-il, perplexe. D’autres créations artistiques ont été victimes d’atteintes similaires ces dernières années : Immersion, Piss Christ d’Andres Serrano et son crucifix dans un bain de sang et d’urine, le scandale et les manifestations d’intégristes catholiques qu’a provoqué Golgotha Picnic au théâtre du Rond point. Mêmes atteintes à la création pour la pièce Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castellucci et son Christ monumental en fond de scène.
Une minorité à la voix grandissante
Pour Soasig, ces manifestations illustrent le fossé qui se creuse entre deux parties de la France :
« Ces ultra-catholiques doivent vivre dans autre monde, un monde qui n’est pas le mien. J’ai été éduquée dans une école laïque, on y avait des cours d’arts plastiques et l’on a étudié des tableaux qui ont choqué à une époque, ce qui ne les empêche pas d’être dans les livres scolaires aujourd’hui. C’est comme si l’on ne pouvait plus parler ni de sexe, ni de religion aujourd’hui en France.”
Pour celle dont l’art est aussi et surtout une manière d’exprimer son opinion, la proportion que prennent ces menaces est grave. Elle a reçu elle-même plusieurs critiques, notamment celles du site christianophobie.fr. Un jour, ces groupes traditionalistes ont même organisé une messe devant la galerie nantaise, pour laver la Sainte-Vierge de ces outrages. Pour autant, Soasig tente de prendre du recul et persévère dans sa démarche artistique, en espérant que “ces personnes ne soient pas représentatives de la communauté catholique dans son ensemble”. Une minorité à la voix grandissante, non contente que certains faits de société ne collent à ses normes. “Un monde centré sur lui-même et contre lequel il faut se battre”, estime Guillaume.
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