Simulation de vie très prisée des enfants, Tomodachi Life est le succès vidéoludique surprise du moment et le titre pour console portable le plus vendu de l’année. Décryptage d’un jeu-phénomène entre Animal Crossing et Les Sims.
« Chaque fois que je me fais un nouvel ami, je n’arrive pas à dormir de la nuit. » Sur cette poignante déclaration, Fulbert, le voisin à moustache à qui l’on vient de retirer les miettes de pain qu’il avait sur la joue, se lance dans un « entraînement de grimaces » un rien embarrassant. Alors on s’éclipse : il y a un arrivage de jeans usés à la boutique de l’île. Et puis il faut se préparer pour la battle de rap prévue, selon l’agenda du jour, pour 19 heures.
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Le très excentrique Tomodachi Life est le succès vidéoludique surprise de 2014, en particulier dans les cours d’école. Un titre disponible sur 3DS depuis le mois de juin et qui, selon son éditeur Nintendo, devrait atteindre les 400 000 ventes française après le traditionnel rush de Noël, qu’il attaque en tête du classement des jeux de consoles portables les plus vendus de l’année. L’affaire n’était pourtant pas gagnée d’avance pour cette suite de Tomodachi Collection, un jeu DS de 2009 que Nintendo n’avait pas jugé bon de distribuer en dehors du Japon. Un jeu beaucoup trop bizarre pour plaire au reste du monde. Et pourtant…
La vie simulée
Little Computer People, Les Sims, Animal Crossing… Tomodachi Life s’inscrit dans une déjà longue lignée de « simulations de vie », ou plus précisément de simulations sociales. Des jeux dans lesquels les aventures vécues sont celles, a priori banales, du quotidien, quand bien même ce dernier différerait nettement du nôtre. Le but : répondre aux besoins et désirs d’un ou de plusieurs personnages et, surtout, intervenir (plus ou moins directement) dans les relations qui se nouent entre eux. Voilà en gros Tomodachi Life : écouter les demandes et récriminations des habitants de l’île, leur offrir des vêtements, de la nourriture ou les inviter à la salle de concert pour entonner sur scène des refrains aussi immortels qu’« Et les pizzas ne dansent pas ». Comme dans Les Sims, les vrais enjeux sont amoureux. Des couples (mais uniquement hétéros) sont susceptibles de se former, et des bébés de naître devant nos yeux émus.
Je est un autre (et ses amis aussi)
Ce qui distingue Tomodachi Life des autres jeux du genre, c’est le statut très particulier de ses personnages (que l’on crée à la main ou à partir d’une photo et que l’on s’échange d’une console à l’autre). C’est vous, votre petite sœur, votre cousin, votre crush du moment ou le héros de votre série préférée récréés sous forme de Mii – les avatars Nintendo aux faux airs de Playmobil apparus avec la Wii – et qui bénéficient d’une large autonomie. Vous ne les dirigez pas : vous communiquez avec eux. C’est un monde de doubles, un miroir déformant, une caricature du réel dans laquelle vous regardez votre jumeau exister. Un espace d’expérimentation fantasmatique où vos connaissances deviennent parfois tout autre chose (le gros dur se fait timide, la snob se révèle avenante…), et qui vous venge, surtout si vous avez neuf ans et que, dans votre jeune existence, tout ne se passe pas forcément comme vous le voulez. Y compris ce matin même, tiens, avec ce camarade de classe vraiment pas sympa. Ça va barder pour son clone dans le jeu.
La fête est folle
Et à part ça ? A part ça tout et à peu près n’importe quoi. L’autre secret du succès de Tomodachi Life, dont les créateurs ont œuvré par le passé sur la renversante et farfelue saga Wario Ware, c’est que l’on ne s’y prend pas (du tout) au sérieux. L’humour et l’inattendu sont la règle. Soudain, quelqu’un vous défie au pouilleux. Ou vous offre du papier toilette. Ou alors vous vous retrouvez en possession d’un spray qui fait rajeunir. Ou plongé dans un rêve aux allures de collage surréaliste. Pendant ce temps, vous gagnez de l’argent en fonction de votre contribution au bonheur de chacun. C’est une satire et une utopie, une catharsis et un refuge.
Et après ?
Pour Nintendo, qui misait d’abord sur Super Smash Bros pour soutenir les ventes de la 3DS en cette fin d’année, le succès de Tomodachi Life, soutenu par des partenariats publicitaires de plus ou moins bon goût (Kev Adams, Violetta, Secret Story), est une aubaine. Le jeu est d’ailleurs distribué en pack avec une version rose – le public féminin serait-il subtilement visé ? – de la 2DS, la version sans affichage en relief de la console portable. Mais il fait déjà des émules. Disney vient ainsi de sortir sa propre simulation de vie à base de Mii, le charmant (mais limité) Disney Magical World. Et il y a l’excellent Fantasy Life (qui, lui, est aussi un vrai jeu de rôle). Pas sûr que cela suffise pour faire de l’ombre à la folie douce et au son sens du spectacle intime de Tomodachi Life. Qui, cela mérite d’être noté, se laisse aussi apprécier bien au-delà de l’âge moyen de ses fans écoliers.
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