Huit ans après sa sortie sur PC, le bouleversant To the Moon revient sur la Switch dans une version remastérisée. Une bonne occasion de (re) découvrir ce faux jeu de rôle à l’esthétique 90’s qui nous fait voyager dans les souvenirs d’un vieil homme sur le point de mourir. Et aussi : la révélation The White Door et, à nouveau sur la Switch, des retrouvailles avec le flamboyant Tokyo Mirage Sessions #FE.
Assis sur un tronc d’arbre au bord de la falaise, deux enfants dessinent des constellations imaginaires en reliant les étoiles dans le ciel. Oh, le lapin de Pâques. Tu le vois aussi ? Voilà, ses oreilles sont là, et c’est la lune qui fait son ventre.
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To the Moon, qui vient de s’offrir un joli lifting avec le lancement d’une version Switch remastérisée, n’est pas un jeu comme les autres. Certains diraient même que c’est à peine un jeu. Ils le disaient en tout cas lors de sa sortie originelle sur PC il y a déjà plus de huit ans, avant Gone Home, Firewatch ou What Remains of Edith Finch, à une époque où l’idée que la valeur d’un jeu vidéo ne se mesure pas à la quantité d’interactions qu’il propose était moins répandue qu’aujourd’hui. Car To the Moon, c’est d’abord une histoire ou, plus exactement, sa mise en forme par les moyens jugés les plus adaptés par son auteur Kan Gao, qui en avait posé les bases alors qu’il était encore au lycée et qu’une hospitalisation de son grand-père l’avait conduit à se poser certaines questions sur la mort, les regrets, ce qu’on fait de sa vie et ce qu’on laisse en partant. Rien de très original ici.
Sigmund Corporation
Ce qui l’est davantage, c’est la décision du jeune Canadien né en Chine de choisir le médium vidéoludique et, plus encore, la matrice du jeu de rôle japonais des années 1990 via l’utilisation du logiciel RPG Maker conçu, justement, pour créer des RPG (« role playing games ») en deux dimensions. En plus d’une esthétique et d’un point de vue sur l’action aisément reconnaissable, To the Moon possède indéniablement quelque chose de ces jeux qui ont marqué leur temps : Mother, Dragon Quest et peut-être plus encore Chrono Trigger, qui nous faisait changer le destin de quelques personnages en voyageant dans le temps.
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Dans To the Moon, c’est un peu la même chose, mais à l’échelle d’une vie, celle d’un certain Johnny qui vit ses derniers jours et qui, avant de mourir, voudrait réaliser son rêve : aller sur la lune. Les deux personnages de scientifiques salariés de la Sigmund Corporation que l’on dirige dans le jeu, les Dr Rosalene et Watts, vont s’y atteler d’une manière assez particulière : ils n’enverront pas l’agonisant dans l’espace mais, voyageant dans sa mémoire, vont tenter d’y insérer le souvenir de cette épopée tant désirée pour lui en offrir l’illusion consolatrice. Johnny mourra donc en étant persuadé d’avoir posé le pied sur le sol lunaire. Mais, bien vite, notre double mixte de docteurs va réaliser que l’affaire n’est pas aussi évidente que celles dont ils ont l’habitude. Johnny lui-même ne sait d’ailleurs pas bien pourquoi il veut aller sur la lune, et certains éléments étranges ne tardent pas à se révéler à eux.
Enquête mémorielle
Pour ceux qui seraient passés à côté de To the Moon malgré ses adaptations successives sur Mac, Linux, iOS et Android, sans doute vaut-il mieux ne pas trop en dire sur les éléments que l’on découvre au fil de cette aventure, qui relève au fond de l’enquête mémorielle. D’une époque à l’autre de la vie de Johnny que nos héros viennent successivement hanter, se multiplient indices et témoignages qui leur permettent d’y voir plus clair. Du point de vue du joueur, c’est une collecte lente et méthodique d’objets, de dialogues et de situations qui démarre.
En général, cinq éléments déterminants sont à retrouver pour dégeler une scène et faire surgir la suivante, mais cette recherche, plutôt qu’un défi en lui-même, est surtout un prétexte pour nous faire examiner les lieux – des abords d’un phare à une salle de cinéma en passant par le gymnase ou la cafétéria d’un lycée – en prisonniers éberlués d’un temps déjà révolu et qui nous apparaît figé. Alors, on regarde partout et on collectionne les signes. Un sac à dos, un ballon, une peluche d’ornithorynque, un lapin en origami. Autant de points à relier pour voir ce qu’ils dessinent, un peu à la manière des deux enfants devant le ciel nocturne. Autant d’étoiles illuminant cette comédie interactive qui est aussi, évidemment, une veillée funèbre.
Théorique et fleur bleue
C’est peu dire que ce RPG expurgé de ses combats (mais qui, pour rire et enfoncer le clou en même temps, nous en présente un faux, contre un écureuil, au tout début) se révèle émouvant, et pas seulement grâce à sa très belle bande originale écrite par Kan Gao lui-même, avec la collaboration de la compositrice Laura Shigihara (qui, depuis, a conçu son propre jeu dans l’esprit de To the Moon : le merveilleux Rakuen). Il n’est pas que ça : la beauté de To the Moon, dont la mémoire est le terrain de jeu autant que le sujet (un peu comme pour La Jetée de Chris Marker, disons), vient de sa nature à la fois théorique et fleur bleue, ce qui en fait un jeu doublement audacieux.
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Depuis 2011, et alors que To the Moon était adapté sur d’autres plateformes jusqu’à, donc, cette toute fraîche version Switch, Kan Gao n’est pas resté inactif. Tout en prenant part à un projet d’adaptation cinématographique de son jeu (qui tarde à se matérialiser), il lui a donné une suite, Finding Paradise, en 2017, précédée par deux mini-épisodes prenant place dans le même univers et dont le second, A Bird Story (2014), tenait lieu d’introduction à Finding Paradise. Si tout se passe bien, le prochain rendez-vous avec Kan Gao sera pour la fin de cette année avec la sortie (sur Mac et PC) du mystérieux Impostor Factory. Sera-t-il une suite des précédents ? “Peut-être pas, peut-on lire sur la page Steam du jeu. Peut-être que c’est une suite. Peut-être que c’est un prequel. Peut-être que c’est les deux.” Peut-être qu’on pleurera encore à la fin.
To the Moon (Freebird Games / X.D. Network), sur Switch, environ 12€. Egalement disponible sur Mac, Linux, Windows, iOS et Android.
Et aussi :
The White Door
Connu pour sa série Cube Escape qui mêle aventure narrative (sous l’influence revendiquée de Twin Peaks) et escape game, l’excellent studio néerlandais Rusty Lake change d’approche (mais pas d’univers) avec l’étonnant The White Door qui, pour aller vite et ne pas trop dévoiler son intrigue, nous met dans la peau (ou plutôt la tête) d’un homme en crise. Celui-ci se réveille dans un hopital psychiatrique où il va devoir suivre une routine quotidienne très précise (prendre son petit-déjeuner, se laver, faire des exercices de mémoire…). Dans un esprit finalement assez proche de l’excellent Florence (en plus surréaliste et avec une dimension puzzle game plus marquée), The White Door est le plus grand des « petits jeux » de ce début d’année.
Sur Mac, Windows, iOS et Android, Rusty Lake / Second Maze, environ 3€
Tokyo Mirage Sessions #FE Encore
Nouvel arrivant au rayon foisonnant des jeux Wii U portés sur la Switch, Tokyo Mirage Sessions #FE fut à l’origine présenté comme la rencontre de Fire Emblem et de Persona. En réalité, il s’agit plutôt d’un spin-off de la saga Persona (elle-même dérivée de Megami Tensei) en forme de célébration de la culture J-pop – disons qu’il est un peu à Persona ce que l’épisode X-2 fut à Final Fantasy. Dans ce flamboyant jeu de rôle où les lycéens mènent une double vie, tout devient spectacle, danse et pose, même les combats qui se pratiquent joyeusement au tour par tour. C’est un pur délice.
Sur Switch, Atlus / Intelligent Systems / Nintendo, environ 60€
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