Titiou Lecoq, auteure des « Morues » et d’une « Encyclopédie de la Web culture », a adapté son blog Girls and Geeks en livre papier, baptisé « Sans télé on ressent davantage le froid ». Comment passe-t-on d’Internet au papier ? Existe-t-il une écriture Web? Comment fait-on pour être aussi drôle ? Rencontre.
Quand on rencontre Titiou Lecoq, on ne peut s’empêcher d’imaginer le récit qu’elle pourrait faire de notre entretien sur son blog Girls and Geeks. Et on sait qu’elle le sait. Titiou Lecoq est confrontée à cette peur panique à chaque instant de sa vie ou presque depuis qu’elle a décidé de relater la dite vie sur un blog.
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C’était en 2008. Elle sortait d’une rupture douloureuse, elle était journaliste mais ne se sentait pas assez libre d’écrire ce qu’elle voulait dans les médias. Elle a donc créé « Girls and Geeks ». Son premier post, daté du 18 juillet 2008, s’intitule « Putain de rupture » et commence ainsi:
« La première phrase est essentielle. Certaines marquent l’histoire de la littérature. On peut opter pour « Aujourd’hui, maman est morte », « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » ou « Je suis une pétasse » (l’une de ces phrases est tirée d’un roman de Lolita Pille, à vous de trouver laquelle). Mais pour un blog, le problème est d’autant plus épineux que le style-blog privilégie spontanéité et mal écriture et que là, pour la spontanéité, c’est déjà foiré (par contre, mal-écriture, ça devrait être dans mes cordes). Finalement, ma première phrase à moi sera donc simple, pas spontanée et mal écrite. »
Tout ce qui fera le succès de son blogfigure dans ce premier post : les parenthèses, les références littéraires, l’humour. On peut lire Girls and Geeks pour tout un tas de raisons (voyeurisme, besoin d’identification…). En ce qui nous concerne, on le lit pour son esprit d’escalier, sa retranscription parfaite de la pensée, qui débouche, à 99% du temps, sur un humour décapant. Exemple :
« Mais parlons aussi de choses positives.
…
Oui.
On va trouver. »
Ou encore :
« Dans les situations extrêmes – type aller à la poste, prendre rendez-vous chez un médecin, répondre au téléphone, tester un truc nouveau – je m’imagine volontiers que j’ai Rambo comme coach de vie. (Rambo “tu vas te la foutre où ta moon cup ?”, “dans la chatte”, “Où ?”, “DANS LA CHATTE”.)
Tout ça pour expédier un colis à Free donc…
Heureusement qu’on ne m’a pas encore envoyée négocier la paix sur terre avec l’Iran parce que clairement, je ne suis pas totalement opérationnelle pour des choses de cette envergure. Bref. Hier, j’y suis retournée et j’ai réussi. Je me suis sentie tellement soulagée. Forte. Fière. Beyoncé. »
L’été dernier, Fayard est parvenu à convaincre Titiou Lecoq d’adapter son blog en livre. Il s’appelle Sans télé on ressent davantage le froid et est sorti début avril. Mais on ne passe pas du numérique au physique si facilement. Ce qui s’annonçait comme un travail de deux semaines s’est transformé en une épreuve de plusieurs mois, jalonnée de relectures, de sélections (tous ses posts ne figurent pas dans le livre) mais aussi de réécriture : « Sur le blog, je peux répéter cinq fois la même chose mais formulé de façon différente, ce qui en version papier est insupportable. Il y a aussi des blagues qui ne fonctionnent pas en version papier. J’ai dû adapter tout le style, l’alléger au maximum », explique Titiou Lecoq.
Elle a aussi dû supprimer plusieurs parenthèses, pourtant une de ses marques de fabrique:
« Tu peux en faire trois à la suite mais pas quinze, c’est trop étouffant. Il y a un effet de saturation sur l’espace physique de la page. Sur internet, on a l’habitude d’avoir des pop up partout, des encarts, que le texte soit boursouflé. Sauf que sur le papier tu n’as que la page. Ton style doit donc être plus solide. »
Pour elle, il y a bien une « écriture web ». Mais attention, il ne s’agit pas de phrases neutres, simplissimes, d’un « style Wikipédia » comme elle dit mais « de lyrisme, d’outrance » : « L’écriture web, pour moi, c’est 50 000 métaphores, un langage très imagé, beaucoup de figures de style. C’est là où l’adaptation entre web et papier a consisté pour moi à enlever de la matière, à aller vers un style plus encyclopédique ».
Ses textes reposent beaucoup sur l’ironie et le second degré, bonheurs ou malheurs (c’est selon) de la génération post-moderne slash Internet. Mais pour elle, l’ironie ne peut fonctionner que si elle est confrontée au second degré : « Si tu ne fais que de l’ironie, ça tourne à vide. Il faut faire une rupture de temps en temps en écrivant quelque chose de très premier degré. » Et de prendre pour exemple le post dans lequel elle raconte ses courses à Carrefour en compagnie de son fils, qu’elle surnomme « Têtard ». « Il est très premier degré et fonctionne en contrepoint de tous les autres posts basés sur l’ironie. C’est l’articulation des deux qui m’intéresse« .
Quant au caractère autobiographique de son livre, Titiou Lecoq a résolu le problème dès les débuts de son blog. Elle a trouvé une batterie de surnoms pour désigner ceux qu’elle mentionne : Le Chef, Le Coach, Meilleure Amie, Têtard, etc. Les personnes en question ont, selon elle, accepté de voir leurs vies étalées sur Girls and Geeks et désormais dans Sans télé on ressent davantage le froid. Elle raconte : « Quand j’ai commencé le blog, il n’était lu que par des potes, c’était sensiblement la même chose que ce que je leur racontais à la terrasse d’un café. Quand j’ai commencé à avoir des lecteurs que je ne connaissais pas, là j’ai pris conscience de la dimension publique de Girls and Geeks« . Le problème s’est véritablement posé au moment de sa grossesse : « Certains commentateurs du blog ne savaient pas que j’étais enceinte et l’ont mal vécu en l’apprenant. Des gens m’envoyaient « tu m’as trahi », « comment tu peux me faire ça ». J’ai rajouté le moment où j’apprends que je suis enceinte dans le livre, sinon ça ne collait pas« . Elle conclut en expliquant :
« Pour moi c’est un non-problème. Quand tu parles de quelqu’un, tu parles toujours de ce que tu projettes sur la personne. Et donc finalement, c’est toujours de toi que tu parles. Ce que je trouve intéressant, c’est quand la problématique devient juridique. D’un point de vue strictement littéraire, c’est nul et non avenu. »
Actuellement, celle qui dit se voir en « grand-mère blogueuse » bosse sur son deuxième roman (le premier s’appelait Les Morues et est paru en 2011 au Diable Vauvert). Ses personnages sont journaliste, blogueuse et troll, parce que ce sont des domaines qu’elle connaît. « Je pense que tu peux inventer, imaginer mais si tu es dans une veine réaliste tu dois t’immerger dans ton sujet. A un moment, il faudra que je sorte de là. Je ne peux pas avoir que des personnages qui bossent sur Internet ou dans l’Education nationale. » Elle réfléchit, se marre et dit: « Je devrais peut-être aller faire un stage dans une agence immobilière ».
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