[Hors série Cheek x Les Inrocks – Plaisir féminin] Titiou Lecoq nous parle de sa première expérience olfactive, de cet effluve sorti de son sexe lors d’un coït effréné. Après le temps du dégoût, de la compréhension, arrive celui de l’âge de raison. Oui, notre vagin, exceptionnel soit-il, a une odeur. Témoignage tout en ressenti.
Les odeurs sont de merveilleux stimulants sexuels. C’est l’angle qu’on m’a donné pour cet article, et j’ai trouvé ça paradoxal parce que je suis la fille de l’histoire du train de 1999.
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Pour la faire courte, en 1999, j’étais une adolescente ivre d’hormones, et je rentrais d’un voyage de plusieurs jours au cours duquel, pour la première fois de ma vie de jeune fille hygiénique, je n’avais pas pu me laver. Dans ce train, j’étais avec mon petit ami de l’époque, un garçon hautement sexy. On avait un wagon pour nous seuls, alors, évidemment, on a maladroitement baissé nos pantalons et culottes, et zou, en avant l’aventure, nous nous sommes lancés dans un coït effréné. Les cinq premières secondes, tout allait bien. Et puis, une odeur collante a commencé à m’étouffer. Pas un petit fumet, pas une légère émanation. Une odeur tellement forte qu’elle vous saisissait directement à la gorge et vous piquait les yeux. Un truc visqueux, poisseux, à la fois terreux et marin, un peu marécageux qui, sans l’ombre d’un doute, sortait de mon propre sexe. Un truc si puissant que quand on s’est rhabillé, il est resté en suspension dans l’air pendant tout le reste du voyage et je suis certaine que les voyageurs suivants ont dû en profiter. Je n’avais jamais envisagé que mon corps pouvait sécréter une puanteur pareille.
Ce jour-là, j’ai eu l’impression que mon sexe m’avait trahie.
Et je me suis juré que ça n’arriverait plus jamais.
Je me suis précipitée dans une parapharmacie et j’ai acheté un stock de lingettes “intimes” que je trimballais précieusement dans mon sac à main. Si une personne sexy me proposait de faire l’amour, j’étais parée, je serais toujours prête et fraîche.
Je n’étais pas pour autant une hygiéniste folle. Je pensais bien sûr que le sexe sans odeur ce n’était pas vraiment du sexe, que baiser, ce n’était pas pratiquer une opération chirurgicale dans un environnement entièrement aseptisé. J’étais ok avec plein de choses : l’odeur de la peau (excité·e, chacun et chacune produit une odeur particulière), l’odeur de la sueur, les haleines qui se mélangent, l’odeur des salives, du liquide séminal, du sperme et même des règles. Mais quand je détectais un peu trop d’effluves venant de sécrétions vaginales, je me sentais mal à l’aise. Je vivais dans l’appréhension d’une autre catastrophe, un truc sur lequel je n’aurais eu aucun pouvoir.
En bref, j’étais traumatisée par l’odeur de la vieille moule.
Le train de 1999 avait provoqué chez moi un mécanisme féminin très courant : la honte de soi, qui repose sur une idée toute simple : au naturel, nous sommes des êtres répugnants. Parce qu’en termes d’organe sexuel, la norme c’est qu’odeur égale saleté. Il a fallu que je lise sur le sujet pour découvrir que le vagin est un organe exceptionnel doté d’une fonction autonettoyage extrêmement efficace et qu’il est normal qu’un sexe ait une odeur. (C’est même l’inverse qui serait inquiétant).
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Il a fallu du temps pour que je me réconcilie avec l’odeur de mon sexe. Ou plutôt, les odeurs, devrais-je dire, parce qu’il y en a quand même toute une palette. Ce qui a achevé de me rassurer, c’est le jour où j’ai compris comment mon sexe fonctionnait. Je me suis intéressée à la méthode Billings, qui consiste à tenir un calendrier de l’aspect de la glaire cervicale. Selon le moment du cycle menstruel, cet aspect change (collant, filant, sec, transparent, trouble, etc.) et l’odeur également. Une fois que j’ai saisi ces mécanismes, j’ai arrêté de voir mon corps comme un ennemi prêt à me trahir olfactivement à n’importe quel moment et j’ai apprivoisé ses différents effluves. J’ai même cessé de les juger trop sévèrement.
On pourrait penser que l’odorat est une fonction purement naturelle, et donc qu’il n’a pas été contaminé par la société. Pourtant, le jugement que nous portons sur une odeur est lié à trois facteurs : nos émotions, nos souvenirs et nos habitudes culturelles. Notre odorat est très tôt façonné par la société. Les parents apprennent à leurs enfants à distinguer les “bonnes” odeurs des “mauvaises”. Ils leur disent, ça, ça sent bon, ça, pouah ça sent mauvais. (Tous les parents l’ont fait ne serait-ce qu’en changeant les couches de leur bébé). On formate leur réception des odeurs, et c’est évident concernant un objet bien précis : le doudou. L’enfant aime son doudou notamment pour son odeur qui, en règle générale, consiste en un subtil mélange de bave séchée, de sueur, de poussière et d’une goutte de pipi. Or, que fait le parent ? Il lui apprend que son doudou sent mauvais et qu’il faut le laver. Et quand il le sort de la machine, décapé à la lessive chimique, il lui dit avec des pâquerettes dans les yeux : “Ohhhh, doudou sent très très bon maintenant.” On intègre donc très vite que ce qui sent bon c’est le propre, et que l’odeur du propre c’est tout ce qui est passé par le filtre des produits chimiques. Partant de là, la société n’a pas eu beaucoup de difficultés à nous enseigner que nos sexes sentaient mauvais, et que donc, à défaut de pouvoir nous mettre dans un lave-linge, il fallait nous javelliser la moule.
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A l’orée de la quarantaine, je suis fière de vous annoncer que j’ai renoncé aux lingettes (en plus, ça pollue). Pour autant, quand je tombe sur une de mes culottes sales, je ne peux pas dire que l’odeur m’excite particulièrement. Mais désormais, je peux respirer sans honte les odeurs mélangées du sexe dans le lit. Ceci étant, je suis encore très loin du stade Napoléon. Figurez-vous que dans une lettre à Joséphine, l’empereur lui a écrit : “Ne te lave pas, j’accours, et dans huit jours je suis là.” Comme quoi, les normes sociales changent très vite…
Le Hors série Cheek x Les Inrocks « Plaisir féminin » sera disponible en kiosque à partir du 7 février
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