« Faut que tu te trouves un mari avant tes 30 ans parce qu’après il ne reste que les éclopés et les névrosés sur le marché ! » Cette petite punchline acerbe et déprimante de ma mère a pris tout son sens récemment… grâce à Tinder. Première partie.
• Le colérique qui cherche la castagne
C’est mon premier Tinder-date, je suis un peu tendue mais en face de moi, c’est pire. Mâchoire crispée, doigts qui se tordent, ça s’annonce compliqué. Je regarde ma montre, il est 20:07. Étrange, il était tellement drôle et détendu à l’écrit. Je me demande même si je n’ai pas rencardé la mauvaise personne. Trop tard, je ne peux décemment pas vérifier là, en face de lui. La serveuse s’approche et gentiment lui demande de ranger son sac de sport sous sa chaise parce qu’elle a failli tomber avec son plateau. Là, le TD (pour Tinder-date) se redresse et lui assène d’une voix rauque : « Il est rangé mon sac, t’as qu’à regarder où tu mets les pieds ! » Réaction lunaire. Mal à l’aise, j’écarquille les yeux et je plonge ma tête dans mon verre de Coca, complètement mortifiée. Évidemment, toute la terrasse nous dévisage, le manager arrive et interpelle le TD qui marmonne en boucle comme s’il était possédé : « Quoi qu’est ce qu’il y a ? Je suis client moi ici ! » J’ai pris une dernière lampée, j’ai hélé le Hulk psychotique qui collait son front sur celui de l’employé pour l’intimider et je me suis cassée. Je regarde ma montre, il est 20:13.
• L’accro au bondage qui organise des soirées Schtroumpfs
Ce TD avait déjà l’air un peu coquin à l’écrit mais rien d’inquiétant. Genre le mec joueur qui te demande au bout de quelques échanges comment tu es habillée. Mais j’étais loin de m’imaginer qu’il voulait le soir-même m’inviter à une soirée « Schtroumpfs ». Naïvement, je lui ai répondu que je n’étais pas très soirées déguisées avec des inconnus. Il m’a alors expliqué que les soirées Schtroumpfs sont en réalité des partouzes dans lesquelles les hommes carburent au Viagra. J’ai lâché un « comme c’est original ! » avec une intonation d’aristo que je ne me connaissais pas. Comme je commençais à me sentit mal à l’aise, j’ai prétexté une copine déprimée et je me suis levée pour partir. En me faisant la bise, il m’a attrapé la taille en me chuchotant à l’oreille : « Je ligoterais bien ton petit corps sur ma balançoire SM ». J’ai essayé de m’imaginer la scène, j’ai vu une paupiette géante, ça m’a donné faim, je suis passée au McDo pour m’acheter quatre mille calories de comfort food.
• Y a-t-il un pilote dans l’avion ?
La belle pioche ! Quoi de plus sexy qu’un pilote d’avion ? – C’est une fausse question qui me sert d’introduction – Voilà, rien. Ce TD est ce qu’on appelle un « all package » brillant, sexy et riche. C’est rare, par les temps qui courent. Pendant plusieurs jours, on a conversé sur Tinder en slalomant entre les fuseaux horaires. New York, Tokyo, Bujumbura. On faisait certes connaissance, mais je révisais en même temps ma géographie. Au passage, lecteur, Bujumbura, c’est la capitale du Burundi. Je commençais à bien l’apprécier. Surtout lorsqu’il m’a annoncé qu’il venait d’acheter un petit avion avec un collègue pilote et qu’on pourrait bientôt s’envoler lui et moi en Normandie. Je me voyais déjà instagramer sa main sur le manche avec, pour accompagner le cliché, une légende aux petits oignons du genre : « Quand il tient le manche, je monte au septième ciel ! » ou encore « La voiture c’est pour les bolosses ! » Mais lorsqu’on s’est vus, monsieur était en retard, pressé et terriblement stressé. Il a aussi profité de quelques secondes d’inattention pour vérifier ses « matchs » sur l’appli. Après ce rapide verre laconique, je me suis rendu compte que toute la magie qu’on avait instaurée par écrit venait de disparaître. On venait de faire exploser la bulle légère de notre imaginaire. Plus de messages, plus d’appels. On en arrive à regretter de s’être vus.
• La poupée barbue
Il y a la barbe fashion, celle des hipsters et il y a la barbe dite spirituelle, celle des musulmans. Le problème, c’est que sur une photo, difficile de trancher. Hipster ? Muslim ? Impossible. Surtout si le beau gosse musulman met une chemise à carreaux et roulotte le bas de ses chinos, là on est littéralement déboussolé. Attention, je n’ai rien contre les musulmans, c’est juste que se recevoir en pleine tronche une leçon de morale quand tu penses passer un moment agréable avec un mec cool, ça perturbe. « C’est dommage, tu fumes, tu bois, je comprends mieux pourquoi tu es encore célibataire ! » m’a-t-il dit en se caressant la barbichette comme La Fouine qui imite Jafar. Uppercut culturel.
• Celui qui en raconte beaucoup trop pour un premier rendez-vous
Avec lui le courant est tout de suite passé. Après deux échanges, on se marrait comme deux vieux potes. C’était dingue. Il me propose un verre dans la foulée puisqu’on est à 800 mètres l’un de l’autre. Portée par un élan d’euphorie, je décide de m’extraire de mon pyjama tel un papillon qui sort de son cocon et de le rejoindre. Comme toujours quand on se pose en terrasse dans le quartier des Abbesses, on est rapidement harcelé par les vendeurs de roses rabougries. Là, le TD a eu une réaction qui m’a pour le moins secouée. Il a répondu au vendeur qui lui tendait sous le nez son bouquet : « Mais, bordel ! C’est dégueulasse ! C’est ma petite sœur ! » Ah. En plus de ça, il parlait beaucoup trop. Sans arrêt. Ne laissant aucune respiration. J’ai eu droit sans préambule aux détails sordides de sa première fois, aux doutes de sa famille à propos de sa sexualité, le tout accompagné par cette petite phrase fantastique : « Tant que je n’aurais pas une bite sous le nez, je ne peux pas me prononcer ! » Sous le nez ? Vraiment ? Mais le climax reste cette explication surréaliste quand je lui ai demandé furtivement comment s’était terminée sa dernière histoire d’amour : « Elle est partie parce que je l’avais tabassée. Mais attention ! Elle m’avait traité de charlot ! Je suis un latin moi, un sanguin ! On ne me traite pas de charlot ! » J’ai souri. Bêtement.
Le bilan de ces rencontres me fait penser à une effroyable spirale de la lose. Trop bavard, trop stricte, trop colérique, trop petit… Et si c’était moi, l’éclopée-névrosée, finalement ?