Nouvelle et très singulière adaptation du roman de Mary Shelley, le jeu du studio parisien La Belle Games édité par Arte nous met à la place de la créature du docteur Frankenstein, qui ère à travers l’Europe en quête d’un peu de bienveillance et d’humanité. Et aussi : une virée traumatisante dans le parc d’attractions de « The Park » et la difficile vie d’un dieu du mal dans l’étonnamment stimulant « Sea Salt ».
Vous êtes un monstre, mais vous ne le savez pas. Pas encore, en tout cas, pas lorsque le jeu débute et que vous faites vos premiers pas dans ses superbes décors à l’allure très picturale – la peinture du XIXe siècle est une influence revendiquée. Pas avant d’avoir rencontré d’autres personnages et d’avoir pris conscience, à l’hostilité mêlée de terreur que votre apparence suscite chez eux, qu’il doit y avoir un problème quelque part. Au départ, d’ailleurs, vous n’avez aucune idée de qui (de ce que) vous pouvez bien être et vous ne comprenez même pas la langue de ceux qui vous entourent. Vous débarquez, vous hésitez, vous tâtonnez. Et, peu à peu, vous commencez à comprendre à quel point vous êtes seul au monde.
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Migrant
Pour être tout à fait honnête, au début de l’aventure The Wanderer : Frankenstein’s Creature, le joueur qui a lu le titre jusqu’au bout a quand même un peu d’avance sur le personnage qu’il dirige, mais probablement aussi quelques idées préconçues qui risquent de rendre l’expérience d’autant plus surprenante. Car, en adaptant Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley, les développeurs du studio parisien La Belle Games, ont dépouillé le mythe de toutes les surcouches qui s’y sont agrégées au fil des décennies et des œuvres qui se sont appropriées l’histoire du docteur Frankenstein et de sa créature. Mieux : du roman conçu comme un enchevêtrement de voix, le jeu n’en garde qu’une : celle du monstre, perdu et triste, qui, ici, traverse une Europe au cœur de pierre en quête d’humanité tel un migrant d’aujourd’hui. Car, oui, dans le contexte actuel, The Wanderer se révèle un jeu éminemment politique.
Floraison
L’expérience, cependant, est d’abord sensorielle. C’est une affaire de formes et de couleurs, de lumières et de sons, de déambulations à la surface – c’est important – de l’image en essayant (ou peut-être au contraire, parfois, non), d’y laisser une impression, une trace de notre passage. Ici, on tourne autour d’un arbre en s’arrêtant aux bons endroits pour provoquer… quoi ? Une illumination ? Une floraison ? Ailleurs, on s’interpose entre un faon et le serpent qui le menaçait. Plus loin, on ira jouer au ballon avec des enfants qui, par chance, ne semblent pas effrayés par notre apparence. L’enjeu, au fond, est toujours le même : entrer en relation (avec des formes, un système, des êtres vivants), faire partie de quelque chose – certains diraient s’intégrer. La belle réussite de The Wanderer tient d’abord à sa parfaite cohérence : ludique, esthétique, théorique et donc, également, politique. Mais l’une de ses autres qualités tient à sa simplicité.
Football
Ce n’est pas faire injure à The Wanderer que de dire qu’il ne ressemble pas aux autres jeux. Ou alors à ceux, éminemment singuliers, du studio belge Tale of Tales (soit le couple Auriea Harvey – Michael Samyn). Et puis, soudain, voilà qu’il bascule au contraire dans le pur mini-jeu vidéo, comme quand il nous demande de jouer de la musique en cliquant sur la bonne couleur de note au bon moment ou de rechercher à l’écran des indices pour résoudre une énigme. Mais s’il emprunte ainsi au rhythm game ou au jeu d’aventure point & click (et même au jeu de foot, en exagérant à peine), c’est toujours avec un petit écart, un peu ailleurs, autrement ou sur un autre ton. Et généralement avec un sentiment de provisoire et d’irréalité, comme lorsque The Wanderer nous fait jouer de l’orgue ou retrouver des porteurs de ballons colorés dans une ville en fête pour entamer une joyeuse procession au milieu des habitants masqués.
Masque
Jouer à The Wanderer, c’est aussi, comme souvent, faire des choix, et influer par là même sur la manière dont évoluera le récit. Dans la peau de la créature, va-t-on faire confiance et oser se montrer à cette famille que l’on a observée (et aidé, secrètement) tout l’hiver durant ? Et à cette jeune femme, avec qui un doux sentiment semble en train de naître au cours de la fête costumée et qui, comme tous ceux qui l’entourent, est persuadée que notre visage tout couturé est en réalité un masque ? La fin du jeu, aussi, pourra prendre différents chemins selon nos décisions, mais il n’est pas du tout sûr qu’un véritable happy end fasse partie des options envisageables, car The Wanderer reste un jeu sombre et plutôt désespéré. C’est pourtant aussi, paradoxalement, l’un des plus lumineux du moment. Par son style graphique (presque littéralement éblouissant, parfois, avec ses blancs) et par l’assurance étonnante dont font preuve ses auteurs dans la tenue du récit interactif et la mise en œuvre de quelques idées ludiques fortes tout en conservant un parti pris général d’économie de moyens. Si le jeu se révèle si marquant, c’est justement parce qu’il n’en fait pas trop.
Incidemment, ce The Wanderer que l’on n’attendait pas aussi haut vient aussi confirmer l’excellence de la politique éditoriale d’Arte en matière de jeux vidéo après des titres comme Californium, Vectronom, Vandals, Type : Rider, Homo Machina ou encore Enterre-moi mon amour. Mine de rien, la chaîne culturelle pourrait bien être en train de devenir l’un des tout meilleurs éditeurs de jeux vidéo français. Ça non plus, ce n’était pas prévu.
The Wanderer : Frankenstein’s Creature, La Belle Games / Arte, sur PC (Windows) et Mac, environ 15€. A paraître sur iOS, Android et Switch.
Et aussi :
The Park
https://youtu.be/bFuJDoUAm9w
Ceci est un aveu : l’auteur de ces lignes, qui possède pourtant une certaine expérience en la matière, n’avait jamais eu aussi peur en pratiquant un jeu sur une console portable. Disponible depuis plusieurs années sur PS4, Xbox One et PC mais fraîchement adapté sur la Switch, The Park, qui nous fait visiter à la nuit tombante un parc d’attraction délabré et possiblement hanté dans la peau d’une femme recherchant son enfant n’est pas un jeu d’épouvante tout à fait comme les autres. L’une de ses meilleures idées un rien sacrilège dans un monde vidéoludique obsédé par la « durée de vie » : ne justement pas durer trop longtemps. Là où tant d’autres s’égarent en s’étirant, le jeu des Norvégiens de Funcom suit sa ligne sans en dévier une heure et demie durant. C’est une expérience bouclée, un ride à faire d’une traite, en s’y plongeant du début à la fin comme on le ferait pour un film. Un exemple qui mériterait d’être davantage suivi.
Sur Switch, Funcom, environ 10€. Egalement disponible sur PS4, Xbox One et PC (Windows).
Sea Salt
Les gangsters de GTA et le tueur à gages de Hitman n’étaient que des enfants de chœur à côté de ce que Sea Salt nous propose de devenir : un véritable dieu du mal, qui sème la terreur et la désolation en envoyant ses minions s’en prendre à la population. Mais attention : sous ses airs de défouloirs au style soigneusement crado, le titre du mini-studio suédois Y/CJ/Y, plutôt Pikmin dark que Gauntlet des temps modernes, exige du joueur qu’il organise soigneusement ses assauts sous peine de vite mordre la poussière. Et c’est ainsi que ce que l’on prenait pour une bonne blague vaguement subversive devient, sur le plan tactique, l’un des jeux les plus stimulants du moment.
Sur Switch, Xbox One et PC (Windows), Y/CJ/Y Games, environ 15€.
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