Grande figure de la télé britannique, Peter Kosminsky retrace dans The Promise l’histoire du conflit israélo-palestinien de 1946 à nos jours. Un récit épique où transpire l’amertume face aux racines de la guerre.
Depuis son téléfilm Warriors, tourné en 1999 et évoquant l’échec des casques bleus anglais en Bosnie, Peter Kosminsky s’attache aux fractures du monde contemporain. Héritier d’une longue tradition de la fiction télé anglaise, il porte un regard acéré sur son époque, en veillant à ne jamais sacrifier la recherche d’un souffle romanesque au souci de rigueur historique. Lorsqu’il écrit ses films, le réalisateur endosse d’abord des habits d’enquêteur : un long travail de préparation fondé sur des entretiens avec des témoins ou chercheurs impose son cadre à la fiction.
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De la guerre en Bosnie à la rivalité entre Tony Blair et Gordon Brown au sein du Parti travailliste (Les Années Tony Blair, 2002), de l’intervention britannique en Irak (L’Affaire David Kelly – Le prix de la vérité, 2005) aux attentats terroristes à Londres (Les Graines de la colère, 2007), Kosminky assume le risque de sa propre intervention dans le cours d’une histoire inachevée et incertaine.
Une saga historique qui décrypte une actualité complexe
Avec son ambitieuse nouvelle série, The Promise (Le Serment) (4 x 90 min), il radicalise cette tentative d’éclairer l’actualité complexe, au risque de la simplification ou du parti pris politique, en se concentrant sur le conflit israélo-palestinien. Si sa méthode d’écriture est la même (des dizaines de témoignages d’anciens soldats britanniques présents en Palestine après la Seconde Guerre mondiale comme source d’inspiration du scénario), Kosminsky intègre ici une dimension supplémentaire à la matrice de son oeuvre : la saga historique, la restitution du passé comme un écho persistant du présent.
Sur un même territoire – la Palestine devenue Israël -, les années 1940 et 2000 se font face et s’enchevêtrent. L’espace reste unique, c’est le temps qui s’étire. La trame narrative trouve son point d’appui dans cet écart entre l’espace et le temps.
The Promise mêle deux niveaux de récit et deux groupes de protagonistes que soixante années séparent mais que les enjeux d’une guerre qui paraît éternelle rapprochent. Le film joue de ce double effet d’éloignement et de proximité, comme si le passé rattrapait sans cesse des personnages dont l’identité ne s’éclaire qu’à travers le miroir des racines (du mal).
L’héroïne, Erin (Claire Foy), Londonienne de 18 ans, rejoint pour ses vacances une amie qui vit en Israël. Elle découvre avant de partir le journal intime de son grandpère mourant, Len (Christian Cooke). Soldat anglais témoin de la libération du camp nazi de Bergen-Belsen, Len est envoyé en Palestine, à la fin de la guerre, pour maintenir la paix entre Juifs et Arabes, alors que l’Etat d’Israël n’est pas encore né, et que déjà apparaissent des tensions entre l’Irgoun, organisation armée sioniste, les populations locales et l’armée britannique.
Lisant au gré de son séjour en Israël le récit circonstancié de la mission de son grand-père en Palestine qui fait écho à la violence qu’elle découvre elle-même sur place, le voyage d’Erin se transforme en voyage initiatique, en parcours politique. D’une ignorance, naît une prise de conscience, d’une indifférence surgit une colère : une colère qui s’arrime à celle, jusque-là sourde et imperceptible, de son grand-père qu’elle réactive comme la reconnaissance de son héritage.
La révélation des attentats de l’Irgoun – notamment la célèbre attaque le 22 juillet 1946 de l’hôtel King David, abritant l’armée anglaise où 91 personnes furent tuées – se mêle à la violence des soldats israéliens dans les territoires palestiniens, à Gaza ou à Hébron, où Erin se rend pour tenter de retrouver les amis arabes de son grand-père à qui il a fait un « serment » : leur rendre la clé de leur maison, dont ils furent chassés en 1948, lors de la Nakba, (« catastrophe » en arabe) l’expulsion des Palestiniens de leurs terres.
L’histoire d’un échec avant tout collectif
Chez le grand-père et sa petite-fille, Kosminsky dépeint un même processus de désenchantement : l’un, soucieux de défendre la création légitime d’un Etat pour les Juifs, et l’autre, en phase avec la culture démocratique et ses amis israéliens, se heurtent à la présence d’un affrontement âpre et absurde. Le réalisateur ne triche pas avec le réel ; sa lecture du conflit reste sans ambiguïtés, mais pas sans nuances. Si The Promise n’épargne pas l’actuelle politique d’occupation menée par Israël, le film évite tout autant l’aveuglement sur les violences du camp opposé.
Les attentats, s’accumulant de tous côtés, annulent leurs effets respectifs. La violence en partage, plutôt que la terre, n’est que la trace d’un échec collectif. Le réalisateur oppose moins la vertu d’un camp au vice d’un autre qu’il ne critique la responsabilité originelle des Britanniques – son grand sujet – dans le processus de guerre continu. Pour ne pas avoir su laisser derrière elle, en 1948, une Palestine stable, la Grande-Bretagne porte selon lui une responsabilité cruciale dans la situation actuelle.
Par-delà cette relecture du conflit, le cinéaste excède le cadre réducteur d’un film politique à thèse pour conférer à son récit un souffle épique. Le Serment n’est pas un sermon idéologique mais une promesse romanesque. En faisant évoluer Erin et Len du silence vers la révolte, en suivant ceux qui partagent leur vie affective contrariée, Peter Kosminsky déploie un art du récit marqué par l’amplitude du regard tant sur les personnages que sur le cadre spatial (réel) dans lequel même les plus beaux serments se perdent.
Jean-Marie Durand
The Promise (Le Serment) (4 x 90 min), le lundi à partir du 21 mars, 20h50, Canal+.
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