Nous faisant diriger une voyante simultanément dans deux univers parallèles, notre monde et celui des esprits, le nouveau jeu d’épouvante du studio polonais Bloober Team, expert en la matière, tient toutes ses promesses. Et aussi : la belle aventure maritime Olija, le charmant jeu de rôle Atelier Ryza 2 et le retour de la mythique saga Turrican.
« Veillez à regagner votre corps avant la disparition de votre âme ». La phrase peut surprendre, mais c’est un conseil que l’on sera bien avisé de suivre si l’on envisage de progresser dans l’univers hanté et malsain de The Medium, l’autre (avec Resident Evil Village, promis pour le 7 mai) jeu d’horreur très attendu de ce premier semestre. Il faut dire que ses créateurs ne sont pas n’importe qui : avec les deux Layers of Fear, l’adaptation réussie du Projet Blair Witch (particulièrement effrayante en VR) et l’excellente variation cyberpunk Observer, les développeurs du studio polonais Bloober Team se sont imposés en quelques années parmi les plus éminents spécialistes de l’épouvante vidéoludique. Et, de leur propre aveu, The Medium est à ce jour leur jeu le plus ambitieux.
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Monde des esprits
Parmi ses principaux concepteurs, on trouve le lead designer Wojciech Piejko et le scénariste Andrzej Madrzak, déjà à l’œuvre ensemble sur Observer (dont l’immeuble emblématique est présent au début de The Medium, maispresque un siècle plus tôt), le musicien Arkadiusz Reikowski habitué des jeux de Bloober Team, mais aussi un nouveau venu au nom familier : le Japonais Akira Yamaoka, compositeur emblématique de la saga Silent Hill. La référence est là, claire et totalement assumée : The Medium est un héritier de Silent Hill, et plus précisément de ses deux premiers volets qui, face à l’héroïsme musclé de Resident Evil, proposaient une horreur plus psychologique et des héros plus ordinaires, avec une approche très lynchienne et un goût non dissimulé pour l’inquiétante étrangeté.
A Silent Hill, The Medium emprunte l’idée d’un deuxième niveau de réalité, plus sombre et morbide, qui viendrait contaminer le premier (ce qui, quand un monstre s’y invite, fait toujours son petit effet), mais l’utilise formellement d’une manière bien différente. Ici, c’est grâce à l’artifice du split-screen que l’on explorera simultanément ces deux dimensions, en dirigeant simultanément Marianne dans le « réel » déjà pas bien réjouissant et une autre version d’elle-même dans le monde des esprits auquel, en sa qualité de médium (d’où le titre du jeu), elle a accès en permanence. A certains moments, seule la « vraie » Marianne est à l’écran. Plus tard, lorsqu’on la fait quitter son corps, on ne contrôle plus que celle du monde immatériel (ce qui n’est possible que pour une durée limitée sous peine, donc, de voir disparaître son âme). Mais le plus surprenant se produit lorsque l’on dirige simultanément les deux Marianne dans des décors à la fois similaires (dans leur sctructure générale) et distincts (par leurs détails). L’essentiel des énigmes que l’on devra résoudre pour avancer dans l’aventure repose d’ailleurs sur la relation, les écarts et les correspondances, entre ces deux réalités. Celle dans laquelle, pour avancer, on ouvre des portes fermées à clé et la deuxième, plus organique et difforme, où il s’agira plutôt de découper au rasoir des membranes de peau qui nous empêchent de passer.
Sur le plan purement ludique, c’est une gymnastique intellectuelle tout à fait stimulante qui se met en place avec cette nécessité de comprendre comment une action ici peut avoir des répercussions là, même si, en matière de puzzles, The Medium demeure plutôt simple et accessible – loin, par exemple, d’un jeu d’aventure-casse-tête comme le récent, et par ailleurs très réussi, Call of the Sea. Mais, plus profondément, ce qui se joue ici concerne le rapport entre le corps et l’esprit, entre les événements du monde et ce qui se passe dans la tête – leur réinterprétation, leurs effets à long terme – autant qu’entre hier et aujourd’hui. En la matière, le jeu de Bloober Team va d’ailleurs très loin en entremêlant l’histoire de son pays, la Pologne, de l’occupation nazie à l’époque communiste et jusqu’en 1999 – où se déroule son récit – avec celle d’une famille assez spéciale. On pourra peut-être reprocher aux auteurs de The Medium d’un peu tout mélanger et de frôler par moments la faute de goût, mais pas de se complaire dans la facilité. Et, en ces temps où la règle serait plutôt la standardisation (c’est-à-dire souvent l’américanisation) des univers de jeux vidéo, on ne peut que louer leur choix d’inscrire cette histoire dans un territoire précis et qu’ils connaissent bien : au même titre que les cinéastes ou les écrivains, les concepteurs de jeux vidéo peuvent aussi nous donner des nouvelles de chez eux. En la matière, la fréquentation, pendant toute une partie du jeu et après avoir quitté Cracovie, d’une ancienne « station de villégiature ouvrière » de l’ancienne Pologne communiste, se révèle beaucoup plus marquante que ne l’aurait été celle d’un énième mall, hôpital ou complexe de bureaux générique.
The Medium est avant tout l’histoire d’un mouvement, du collectif à l’individuel, de l’historique au personnel : un voyage au bout d’un monde qui s’abîme dans l’intime. Comme dans Silent Hill, donc, et peut-être encore plus dans l’excellent remake de son premier épisode Shattered Memories, on ne dispose pas de véritable moyen de résister aux agressions. Aucune arme entre nos mains : en cas de menace soudaine, le cache-cache tremblant et la fuite sont nos seules véritables options, le souffle court, en attendant que ça passe. L’autre grande spécificité du jeu réside, loin des espaces ouverts et de la vue subjective, dans ses déplacements contraints et ses angles de caméra fixes qui rappellent plutôt les pionniers du genre survival horror, les premiers Resident Evil ou Alone in the Dark, que ses représentants les plus récents. Jouer à The Medium, ce n’est pas se lancer dans une grande balade en regardant autour de soi mais, plutôt, chercher à comprendre ce que nous veut ce monde scripté, à découvrir où il entend nous entraîner. Ce qui, en plus de se révéler en phase avec l’itinéraire de l’héroïne qui est agile au moins autant qu’elle n’agit, n’est ludiquement ni mieux ni moins bien en soi : c’est un projet différent et, en l’occurrence, par son implacable exécution, celui de The Medium nous remue méchamment.
Alors on avance, on frémit, on quitte son corps. On se repose sur nos outils, aussi, comme ce « casse-boulons » qui nous aide tant. On l’avait aperçu pas très loin de la piscine vide, mais on a mis longtemps à l’atteindre et, une fois l’objet récupéré, le jeu nous le fait utiliser quatre fois en très peu de temps – un choix de level design que l’on apprécie à sa juste valeur tant, curieusement, cela se révèle réconfortant. Longtemps aussi, on essaie de suivre une petite fille qui nous dit s’appeler « Tristesse » et apparaît dans le monde des esprits. Et puis on cherche les « points de souvenirs » qui nous permettent de voir ce qui a été, en attendant de le comprendre. « C’est l’essence de ce lieu : folie, deuil et souffrance », nous dit le jeu, que l’on n’oubliera pas de sitôt. Et aussi : « Cet endroit est comme un cimetière d’émotions. » On y redoute même les papillons.
The Medium (Bloober Team), sur Xbox Series X/S et Windows, environ 50€ (ou inclus dans le Xbox Game Pass)
Il n’y a pas forcément besoin d’effets spectaculaires ni de gros moyens pour faire passer le souffle de l’aventure. La grande, la vraie, celle qui donne à la fois le frisson et l’envie d’aller voir toujours un peu plus loin, comme le montre l’étonnant Olija, conçu presque en solitaire par le game designer français (mais basé au Japon) Thomas Olsson. Débordant d’idées ludiques, ladite aventure est maritime et nous offre toute une série d’îles riches en secrets à explorer en compagnie du courageux Lord Faraday dans une ambiance de piraterie nimbée de fantastique et dans un style nerveux rappelant un peu Dead Cells (l’orientation Rogue-like en moins). Soutenus par une superbe bande son (l’orage, le bruit des mâts des bateaux…), ces pixels agités possèdent un incroyable pouvoir d’évocation.
Sur Switch, PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series X/S et Windows, Skeleton Crew Studio / Devolver Digital, environ 15€
« Atelier Ryza 2 : Lost Legends & The Secret Fairy »
Si elle n’est ni la plus connue ni la plus grandiloquente des séries de jeux de rôle japonaises, Atelier pourrait bien être la plus délicate et la plus charmante. Son signe distinctif : ses protagonistes (féminines) pratiquent l’alchimie, la recherche de recettes et d’ingrédients y tenant toujours une place centrale. Suite directe du premier Atelier Ryza paru à l’automne 2019, Lost Legends & The Secret Fairy gagne tout un tas de possibilités supplémentaires ainsi que des sous-titres français (là où le précédent n’était qu’en anglais) et parvient joliment à concilier la joie de la nouveauté et celle des retrouvailles (avec des personnages, des lieux, des signes, des logiques, des rythmes), le désir d’aller voir ailleurs et la joie de rentrer chez soi. Le petit miracle d’Atelier Ryza 2 est là : dans le mariage de la fièvre aventureuse et du plaisir casanier.
Sur Switch, PS4 et PS5, Koei Tecmo, environ 60€
« Turrican Flashback »
Monument du jeu d’action européen du début des années 1990, la saga SF de l’Allemand Manfred Trenz Turrican s’offre un retour inattendu avec une superbe compilation de quatre titres : les deux épisodes initiaux parus respectivement en 1990 et 1991 sur ce bon vieux Commodore Amiga et les déclinaisons Super Nintendo (Super Turrican, 1993) et Mega Drive (Mega Turrican, 1994, qui n’est autre que Turrican 3) de la série. Si tous valent le détour, ce sont les deux premiers qui retiennent le plus l’attention pour leur structure non linéaire et la place qu’ils laissent à l’exploration – disons qu’en termes d’expérience de jeu, ils sont plus proches de Metroid que de Contra. Turrican n’ayant jamais été le plus facile des jeux vidéo, c’est par ailleurs à bras ouverts qu’on accueille le nouveau système de contrôle de ces versions remasterisées ainsi que la possibilité de « rembobiner » la séquence de jeu en cas d’échec piteux. Côté musique, les compositions de Chris Huelsbeck, devenues légendaires avec le temps, impressionnent toujours autant.,
Sur Switch, PS4 et PS5, Factor 5 / ININ Games, environ 30€