Quelque part entre un jeu d’aventure sans énigmes ni mots et des nouvelles de Raymond Carver changées en jeu vidéo, l’œuvre du studio espagnol Brainwash Gang est une pure merveille.
La question revient souvent quand un titre tranche avec l’ordinaire de la production ludique : est-ce encore du jeu vidéo ? Y a-t-il suffisamment d’action, de défi, de choix et d’occasions d’échouer piteusement ?
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Paru l’an dernier sur PC et mobiles et fraîchement arrivé sur consoles, The Longest Road on Earth du studio espagnol Brainwash Gang ne devrait pas y échapper avec son approche minimaliste du game design. Sans parler de l’omniprésence des chansons de la merveilleuse Beicoli, qui s’enchaînent pendant l’heure et demie que dure le jeu, au point que l’on pourrait penser que le reste n’est là que pour les illustrer.
Interactions limitées
Du noir et blanc, de gros pixels et une absence totale de mots pour dire ce qui arrive aux personnages des quatre nouvelles (plutôt que chapitres) qui se suivent en se fondant les unes dans les autres : c’est peu dire que The Longest Road on Earth ne fait pas dans la pyrotechnie. Les interactions aussi sont limitées : il s’agit de faire avancer un homme ou une femme à tête d’animal (ours, oiseau…), de préparer du café, de faire de la balançoire, d’étendre le linge, de déjeuner au self du boulot…
Parfois, on attend juste que ça passe, que le métro atteigne la station ou la voiture, sur une route bordée d’arbres, sa destination. On regarde. On y est. Le parti pris est de privilégier le non-événementiel, le quotidien. La routine ou, en tout cas, ces moments ordinaires de l’existence humaine qui se répètent, jusqu’au jour où ils appartiennent soudain au passé.
Déambulation mélancolique
Jouer à The Longest Road on Earth, c’est se laisser porter par la musique et la voix de Beicoli, qui est notre guide pour cette déambulation mélancolique au royaume des petites choses. On pense aux expérimentations esthètes et humanistes du collectif Tale of Tales, aux essais de Deconstructeam, à certains passages de What Remains of Edith Finch? et Night in the Woods. Ou alors à un jeu d’aventure point & click à l’ancienne dont, tournant le dos aux énigmes et aux gags, les auteurs auraient plutôt décidé d’adapter Raymond Carver.
Un bébé escalade son berceau, rejoint sa mère, apprend à marcher. De retour dans sa chambre, il a gagné quelques années et se glisse dans son tipi. Nouvelle déco, nouveaux jeux près du nouveau lit. Dehors, il aime sauter dans les flaques. La manette en main, on le dirige petit, puis plus grand. Le jeu nous fait être l’enfant qui court devant et le parent que, finalement, il attend. “And I’m hoping that you will watch me grow“ (“Et j’espère que tu me regarderas grandir”), chante Beicoli.
Ellipses et temps long
Mariant avec autant d’élégance que de précision les ellipses et le temps long, et dissimulant sous son apparente nonchalance une extrême précision, The Longest Road on Earth captive et bouleverse par les moyens même du jeu vidéo, l’importance qu’il accorde aux gestes (et à leurs effets) et sa manière de nous mettre à la place d’un·e autre (pour sentir ce que ça fait), auquel ou à laquelle il est très loin de tourner le dos. Mais la fameuse question n’est sans doute que secondaire : le plus important, c’est qu’il est si beau.
The Longest Road on Earth (Brainwash Gang/TLR Games/Raw Fury), sur Switch, PS4, PS5, Xbox One et Xbox Series X/S, environ 10 €. Egalement disponible sur Windows, iOS et Android.
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