Disparu en 2004, le magazine londonien The Face reste une référence. Plus de trente-cinq ans après sa naissance, son héritage est célébré dans un nouveau livre retraçant l’histoire de ce titre de presse culte, « The Story of the Face: The Magazine That Changed Culture », ainsi que via The Archive, projet visant à diffuser les clichés les plus iconiques de la publication star des années 1990.
Une blondinette portant une traîne d’indien offre à l’objectif son plus beau sourire. Derrière la caméra, Corinne Day, une des photographes les plus importantes des années 90. Devant, une toute jeune Kate Moss, qui réalise le premier shooting mode de sa carrière. Le cliché, devenu iconique, fait partie de la série The Third Summer of Love, perçue comme la première manifestation visuelle du mouvement grunge dans la mode, commandée en juillet 1990 par un magazine underground londonien, The Face.
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Plus de vingt-cinq ans plus tard, Kate Moss est une superstar, et The Face une référence. Le magazine, fondé en 1980 par le journaliste de musique Nick Logan, est considéré comme l’une des publications les plus influentes de sa génération, une des premières à traiter de culture jeune, mode et musique sur le même plan. Reportages sur les tribus stylistiques, plongées dans le Londres underground des années 1990, papiers sociologiques, tests décalés, séries mode confiées aux talents émergents de l’époque… The Face (le visage, en VF) est la plate-forme de choix pour tous les jeunes créatifs de l’époque en mal de support qui leur correspond.
Une histoire de famille
« Mon père est un preneur de risques, » raconte Maxwell Logan, le plus jeune des trois enfants du fondateur, interrogé depuis Londres en novembre 2015, à l’occasion des trente-cinq ans de la publication. « Il laissait souvent les gens faire leur propre truc. A l’époque, dans les magazines des années 80 et 90, il n’y avait pas beaucoup de place pour la créativité. The Face s’est érigé comme un melting-pot d’idées et de personnalités, ce qui explique qu’il soit devenu un titre de presse historique. »
Nick Knight, Juergen Teller, Katie Grand, Dylan Jones… Si le magazine s’est arrêté en 2004, ses contributeurs, eux, font partie des plus grands noms de la mode d’aujourd’hui. On se rappelle du numéro de mars 2004 avec John Galliano et Gisèle Bündchen en couverture, shootés par Peter Lindbergh : l’un au fait de sa carrière chez Dior, l’autre toute jeune mannequin. Dix ans plus tard, Gisèle Bündchen est la mannequin la mieux payée du monde, et Galliano le créateur le plus controversé des années 2000.
Créé par Nick Logan, papa de la publication musicale britannique Smash Hits et passé par NME, il y travaillait aux côtés de sa femme, Judy, et de leurs trois enfants. Maxwell raconte comment le magazine faisait partie de son enfance. « Tout jeune, j’étais un ‘runner’ [sorte d’assistant/coursier] et mon frère a même shooté une série pour le magazine. » Une implication familiale bien pratique : « Je me souviens quand on a réalisé un reportage sur la mode des casuals [sous-culture née du monde du football] au moment de son apparition au Royaume-Uni, se rappelle Maxwell. Mon frère a ramené tous ses potes d’école, et ils ont posé pour l’article ! »
La renaissance digitale : The Archive
C’est ce souci de la famille qui conduit Nick et Maxwell à monter The Archive, trente-cinq ans après la naissance de The Face. Le projet, lancé sur les réseaux sociaux Twitter et Instagram, vise à célébrer l’héritage de la publication en diffusant des photos iconiques issues de ses archives. Mais aussi à mettre en avant un des acteurs majeurs au sein de The Face, Judy Logan. « Ma mère est un des héros méconnus de The Face, » raconte Maxwell. Ancienne comptable du magazine, elle y a commencé en tant que rédactrice en chef adjointe, aidant Nick au quotidien dans la mise en place du magazine.
Judy, qui a souffert de démence sénile les dix dernières années de sa vie, est décédée en mai 2016. The Archive est un hommage à l’œuvre de sa vie : Kurt Cobain par David Sims, Snoop Dog par Jean-Baptiste Mondino, Boy George posant sous le drapeau gay en couverture du numéro « L’amour ne connaît pas de couleur » (sous titre : « Ne laissez pas les bigots vous déprimer « )… Des photos historiques qui relancent les conversations, et reconstruisent les réseaux de l’époque. Maxwell raconte qu’une photo postée d’un shooting vintage de The Face a permis de mettre en relation le photographe et la styliste, qui ne s’étaient pas parlés depuis des années – et qui ont commencé à discuter dans les commentaires de la photo.
Une première monographie
Tous se regroupent autour de la publication historique, quelle que soit la génération : « En publiant les archives papier sur les réseaux sociaux de 2015, The Face touche un tout nouveau public, » estime Maxwell. En 2017, c’est au tour du journaliste culturel Paul Gorman de se pencher sur l’histoire de The Face : dans son livre The Story of the Face: The Magazine That Changed Culture, le journaliste se plonge dans les archives du magazine pour en retracer la chronologie à travers ses couvertures les plus cultes. Si le magazine était avant tout une publication de mode et culture jeune, The Face est également connu pour ses reportages société : dans les années 80, le magazine est le premier titre de presse britannique à parler de MDMA, et « ose » s’aventurer hors de Londres à la rencontre des jeunes de Manchester ou Liverpool. « Voilà ce qui était le plus excitant chez The Face : vous n’aviez aucune idée des sujets couverts d’une page à une autre, explique Paul Gorman. De la mode à la musique en passant par la politique et le journalisme ‘brut’, c’était un magazine complètement unique dans son point de vue et son style. »
En avril 2017, le Guardian annonce le retour de The Face, racheté par le propriétaire du magazine Mixmag. Un choix qui peut dérouter quand on sait que la baisse des ventes de The Face était lié au succès de nouvelles publications comme Dazed and Confused (lancé en 1991) ou de l’hégémonie mode de son grand concurrent i-D, (fondé en 1980, racheté par Vice en 2012), indétronable bible de la mode underground, dont le succès a été décuplé par leur passage en version digitale. « Une des plus grandes forces de The Face était le fait que les sujets étaient sélectionnés avec soin, explique Sheryl Garratt, rédactrice en chef du magazine de 1989 à 1995. Les gens comme mon fils sont submergés d’information de nos jours. Je pense qu’ils apprécieraient qu’une voix de confiance leur dise quoi écouter ou regarder. » Est-ce vraiment ce que veulent les millennials ?
The Story of the Face: The Magazine That Changed Culture, Paul Gorman (Thames & Hudson)
Cet article est une version mise à jour d’un article publié le 10 novembre 2015.
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