Décriée dans tous les médias, l’émission Carré Viiip n’a pas résisté à sa propre vacuité. TF1 a dû sonner la fin du jeu : la « post- téléréalité » accuse le coup.
Quelque chose s’est fissuré dans le regard des masses devant leur poste de télévision ; rien, pas même l’ironie, ne peut plus adoucir la fêlure du téléspectateur affligé devant le vide d’un carré de prétendants à la notoriété.
Avec l’émission Carré Viiip sur TF1, finalement supprimée par la direction de la chaîne ce jeudi soir, la téléréalité célèbre le premier anniversaire de sa décennie souveraine avec une grosse gueule de bois.
[wattv 300909nIc0K116005849]
Le spectre du Loft (diffusé au printemps 2001) plane toujours, mais ce sont plus des pantins désarticulés et sans âme que des fantômes brillants qui hantent le plateau d’Endemol.
Personne n’y croit plus, mais plus du tout, comme si chacun s’était enfin résolu à ne plus supporter l’insupportable: le spectacle de la bêtise fière de ses effets délétères, de l’affront aux règles minimales de l’esthétique, de la foi dans le principe même de l’amusement, ici dilué dans un bain plein de cynisme.
A bien y regarder, le décor, le dispositif, les règles du jeu, les corps des candidats, leurs vêtements, leurs mots, leur énergie, leurs délires de grands enfants… n’ont pas radicalement évolué en dix ans depuis le Loft révolutionnaire ; mais si rien n’a changé au fond dans le poste, le regard du téléspectateur, lui, s’est transformé.
Il n’accueille plus de la même manière le spectacle, moins parce que le show ne l’excite pas que parce qu’il bute sur un effet de saturation: trop fragile pour résister à l’usure du temps, la curiosité du téléspectateur s’est essoufflée. La «grandeur» d’un Loft s’est réduite à l’étroitesse d’un carré.
L’indice le plus frappant de ce désamour se love moins dans les chiffres d’audience (pas top) que dans le lâchage de ses plus fidèles adeptes. Tout le monde, y compris une grande partie de la presse people complice intéressée du show, a rejeté l’émission. Avouant en creux leur déception générale, à la hauteur des espérances qu’ils portaient pour les candidats entre les murs, les commentateurs avisés ne cessaient depuis deux semaines d’évoquer le «mauvais goût», la «vulgarité», les «odieux personnages»… de ce Carré Viiip.
Loft Story, Secret Story, Nice People… étant déjà passés par là, le carré tournait trop en rond pour produire un élan inédit. L’effet déceptif produit par Carré Viiip tient en réalité au point de bascule qu’il incarne: le passage de l’âge d’or de la téléréalité à son «après». Carré Viiip s’est imposé comme la première émission de « post téléréalité ».
A la mesure de la postmodernité qui intègre la fin des métarécits, la post- téléréalité ne tient plus sa promesse de briser le récit télévisuel. Elle n’a plus qu’à mettre en scène l’art de jouer avec son propre mythe, fût-il écorné.
Puisque l’horizon de la célébrité hante les rêves de nos contemporains –être célèbre: la meilleure manière de se sentir vivant-, la téléréalité s’engouffre immanquablement dans cette voie du rêve formaté.
De Cindy à Marjolaine, de Giuseppe à Beverly, de Candice à François-Xavier…, les candidats du jeu, Viiip ou Wanna Viiip, furent les représentants désarmants de cette fausse fabrique de la célébrité contemporaine. En pleurer ou en rire revient finalement au même: la fin de la « story » est consommée.
Jean-Marie Durand