Main d’Henry, France de Sarkozy, victoire de l’Algérie et mythe « black blanc beur » : après France-Irlande, l’analyse de Serge Kaganski.
L’équipe de France sera donc présente au premier Mondial organisé en Afrique, grâce à un match vraiment nul assorti d’un but où Thierry Henry s’est pris momentanément pour son pote le basketteur Tony Parker. En sport, seul le résultat compte écrit L’Equipe, quand même bien embêtée. On peut discuter cet adage, proche cousin de la question de la fin et des moyens. Les Bleus qualifiés de Domenech marqueront-ils autant les mémoires que ceux de Platini, perdants inoubliables de Séville 82 ? Certes, « la victoire est en nous », mais à condition de ne pas insulter l’éthique, la morale, la supériorité ponctuelle de l’adversaire et la qualité du jeu.
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On compare la main d’Henry à la main de dieu maradonesque. Mais on oublie que dix minutes après sa filouterie, El Pibe de oro s’en était allé marqué un « but du siècle », rédimant sa tricherie, prouvant illico que son génie était bien dans ses pieds et rendant moins discutable la victoire de l’Argentine. Rien de tel avec France-Eire : Henry n’a pas « atténué » sa faute balle au pied et la France n’a pas marqué ce second but qui aurait mieux assis éthiquement sa qualification. La France de ce 18 novembre 2009 a eu la qualification et le déshonneur, et comme il ne s’agit après tout que de sport, on aurait sur ce coup-là préféré la défaite et l’honneur. Peut-être que cette équipe sans âme, sans charisme, composée de joueurs individualistes et grassement rémunérés qui brillent dans leurs clubs (secteur privé du foot) mais paraissent accomplir une corvée en équipe de France (service public du foot), est hautement symbolique d’un certain état de la France et du monde.
Le président Sarkozy lui-même, entouré à la fin du match par les sourires radieux des dirigeants du foot, a dit que l’essentiel était la qualification, ne soufflant mot de la main d’Henry. Ce qui compte depuis la Coupe du monde 98 et encore plus depuis l’avènement de Nicolas 1er, c’est la France qui gagne, peu importe la manière de parvenir à ce slogan publicitaire, à cette image aussi pieuse que superficielle.
Un autre slogan, une autre image d’Epinal hérités de la Coupe du monde 98, c’était la France black blanc beur. Si certains en doutaient encore, ce poster à la Benetton a été définitivement soldé mercredi soir dernier. Au moment où les Bleus ahanaient leur parodie de foot en direct sur TF1, les Français d’origine maghrébine affluaient vers les centres-villes de France, tous drapeaux algériens et klaxons dehors. C’était la fracture black blanc beur, l’inconscient accepté ou refoulé de la société française qui éclatait avec la netteté d’une allégorie : les Français verts et blancs (les mêmes couleurs que l’Irlande, ou que la Bulgarie 93 de Kostadinov, beau télescopage coloriste d’images fortes de la France du foot) démontraient leur joie dans les rues pendant que les Français bleus, blanc rouges rongeaient leurs ongles devant leur télé.
Face à une telle dichotomie, la droite ne manquera pas d’invoquer ces Français qui n’aiment pas la France et qui devraient donc la quitter. Mais peut-être l’aimeraient-ils plus si la France était plus aimable à leur endroit. Et peut-être ce désamour s’adresse-t-il plus à la France des inégalités diverses qu’à la France tout court. Et peut-être est-il concevable de ne pas aimer cette France de la gagne à tout prix et de l’identité nationale précisément au nom de l’amour de la France, d’une autre France, et peut-être est-ce un souci patriote que de désirer rester dans ce pays malgré ce désamour pour lutter et le rendre moins détestable. Ce qui nous ramène sur le rectangle vert du terrain et des symboles. L’équipe d’Algérie s’est qualifiée à la régulière, avec un but magnifique… à la Kostadinov ! Elle a légitimé la fierté et la joie de ses supporters, au-delà du seul résultat. Elle a décroché la qualif, et l’honneur avec.
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