Des jumeaux enquêtent sur leur passé dans le nouveau jeu du studio parisien Dontnod, bouleversante aventure intime qui est aussi la première production d’un grand studio comptant un homme transgenre parmi ses héros. Et aussi : l’étrange et envoûtant Paradise Killer, une balade en mer avec Windbound et les affrontements sans pitié entre crustacés de Fight Crab.
Que s’est-il vraiment passé ? Dix ans après, l’interrogation plane sur les retrouvailles d’Alyson et Tyler Ronan, jumeaux désormais âgés·e d’une vingtaine d’années qui, après une longue séparation, reviennent dans leur maison d’enfance. Il y a dix ans, donc, leur mère est morte, tuée par Tyler en situation de légitime défense alors qu’elle le menaçait d’un fusil. Les années qui ont suivi, Tyler les a passées dans un centre pour adolescents troublés. C’est là-bas que ce jeune homme transgenre dont la mère refusait, entre autres choses, qu’il se coupe les cheveux ou qu’il joue au hockey, a entamé sa transition. Il vient à peine d’en sortir lorsque l’aventure commence et qu’en compagnie d’Alyson, il prend la direction de la petite ville de Delos Crossing, en Alaska, qui les a vu·es grandir pour, entre autres choses, vider la maison familiale qui doit être vendue.
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Mémoire trompeuse
Conçu par le studio parisien Dontnod à qui l’on doit déjà la merveilleuse série Life is Strange dont cette nouvelle production est un peu le troisième épisode officieux, Tell Me Why relève au fond du jeu d’enquête, mais pas uniquement dans le sens où on l’entend généralement. Car si, d’une pièce à l’autre de leur ancienne demeure qui semble figée dans le temps, ils accumulent les indices avant d’aller poser quelques questions au couple qui tient le principal magasin de Delos Crossing ou au chef de la police qui a pris soin d’Alyson après le drame, c’est aussi dans leurs propres souvenirs que les jumeaux recherchent la vérité. Mais la mémoire peut se révéler trompeuse et, entre ce dont se souvient Alyson et ce que croit savoir Tyler, les faits ne coïncident pas toujours.
Pour aborder le territoire instable de la mémoire, Tell Me Why ose, à la manière justement de Life is Strange, un pas de côté vers le fantastique. Souvent, alors que l’on traverse certains lieux importants, apparaissent ainsi en transparence à l’écran comme des fantômes qui rejouent pour nous des scènes clé du passé. Ce peut être une dispute ou un moment joyeux. C’est plus ou moins net et précis. Plus ou moins fiable, aussi, comme tout souvenir, et peut-être encore plus quand c’est celui d’un enfant, qu’il remonte à bien longtemps et que, depuis, s’est produit un événement extrêmement traumatisant. Il arrive d’ailleurs plus d’une fois que deux versions différentes d’une même scène nous soient proposées et que ce soit à nous d’en choisir une alors que rien ne permet vraiment de conclure avec certitude qu’elle est la bonne. C’est un choix : celui de la « vérité » sur laquelle les jumeaux baseront la suite de leur histoire et de ce qui, à l’avenir, sera vrai pour eux.
Subjectivité
La véritable originalité et la grande force du jeu sont là, dans cette troisième étape de l’enquête menée par les jumeaux. D’abord vient, à notre rythme, la recherche des objets, lettres, photos et documents divers qui, en particulier quand elle se déroule dans la maison familiale, rappelle énormément le jeu indé pionnier Gone Home. Ensuite, donc, arrive le souvenir des scènes vécues ou observées (qui, étrangement, rappelle un autre jeu des auteurs de Gone Home : Tacoma). Mais en définitive, Tell Me Why réaffirme surtout l’importance de la subjectivité et plus précisément, ici, de la subjectivité partagée : toute mémoire est une (re) construction, une histoire qu’on se raconte a posteriori et sur laquelle on s’appuiera pour bâtir la suite. Et c’est bien là l’enjeu pour les jumeaux réuni·es après avoir été séparé·es de Tell Me Why : accepter que tout ne peut pas être su de manière absolument certaine et, à partir des faits, produire leur propre histoire. Ce qui, dans un jeu vidéo, n’est pas vraiment habituel.
Princesse et Gobelins
Cette idée du récit, et même de la fiction, comme ciment de l’existence est au cœur de Tell Me Why, et en particulier de ce qu’il révèle de l’enfance d’Alyson et Tyler aux côtés de leur mère. A travers le « Livre des Gobelins » que cette dernière avait élaboré avec eux et que l’on est régulièrement amené à compulser pour résoudre des énigmes au cours de l’aventure, c’est même la forme du conte qui est convoquée par les personnages eux-mêmes. Et quoi qu’elle ait pu faire après – on ne dévoilera pas ici ce que nous apprend la fin du jeu, ni ce qu’elle maintient dans l’ombre –, c’est en compagnie de leur mère qu’a pris forme cette mythologie commune avec sa princesse (soit elle-même), ses deux petits Gobelins et ses animaux, ours, castor, grenouille ou pélican, et puis son chasseur, sa forêt.
Malgré certaines lourdeurs dans son système de jeu – plus flagrantes, bizarrement, que dans Life is Strange –, Tell Me Why est une œuvre qui touche juste, et profondément. Et pas seulement parce que c’est la première d’un grand studio de jeu vidéo à donner une place aussi importante, et d’une manière aussi fine et respectueuse, à un personnage transgenre. La fin de l’histoire est proche, l’accès à la grange est condamné, nous sommes dans la maison désormais vidée. Quelques vieilles photos traînent encore sur un meuble. Une toise girafe raconte la croissance des jumeaux sur le mur de la salle de bain. Un avion en papier est resté coincé au-dessus du lustre en bois du salon. On fait un dernier tour avant de reprendre la route.
Tell Me Why (Dontnod / Xbox Game Studios), sur Xbox One et Windows, environ 30€
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Et aussi :
Paradise Killer
Le jeu en monde ouvert le plus étrange de l’année est arrivé. Dans Paradise Killer, on incarne une certaine Lady Love Dies fraîchement libérée d’un exil de 3 millions de jours et chargée d’enquêter sur tout un tas d’événements mystérieux. Alors on part en quête d’indices, on ramasse ce qu’on trouve (des reliques, des cristaux de sang qui sont la monnaie locale), on écoute ce que peut bien avoir à nous raconter ce démon vaguement obscène du nom de Shinji sur lequel on tombe sans arrêt… Paradise Killer ressemble à un héritier commun de walking simulator, visual novel et d’un jeu d’objet caché. Ou éventuellement à l’enfant secret de Killer 7 et de BioShock. Et même si l’on peine à remettre à leur place les pièces de son obscur puzzle, la fascinante balade techno-glam à laquelle il nous invite vaut largement le détour.
Sur Switch et Windows, Kaizen Game Works / Fellow Traveller, de 16 à 20€
Windbound
The Swords of Ditto avait déjà montré que la formule des jeux Zelda en 2D pouvait très bien se marier avec celle du Rogue-like (où chaque partie est différente dans un monde recréé aléatoirement en fonction de règles fixées par les développeurs). Windbound confirme que c’est aussi vrai des Zelda en 3D avec ses faux airs de Breath of the Wild mâtiné de The Wind Waker (pour l’exploration maritime). Surtout, à condition de choisir le moins « cruel » de ses deux modes de difficulté, il invente quelque chose comme le jeu de survie zen, où l’on cherche de la nourriture et des matériaux sans stresser avant de céder tranquillement à l’appel du large. Faute de beaucoup se renouveler, l’expérience perd de son attrait sur la durée, mais Windbound est un jeu que l’on ne manquera pas de relancer au cours des prochains mois, en cas de manque de bord de mer ou d’été.
Sur Switch, PS4, Xbox One, Windows et Stadia, 5 Lives Studio / Deep Silver, environ 30€
Fight Crab
Non, pas Fight Club : Fight Crab, car c’est dans la carapace d’un crustacé géant que l’on se glisse pour aller combattre dans le jeu du studio japonais Calappa Games qui, sous ses allures de grosse blague doublée d’un hommage à un certain cinéma de série Z – ce qu’il est aussi –, se révèle d’une précision assez stupéfiante. Passés les premiers niveaux, il faudra en effet bien maîtriser les mouvements des pinces (les tendre, les fermer, cogner…) et ceux de notre crabe lui-même pour triompher des divers homards et langoustes qui se dressent sur notre chemin avec, parfois, une hache ou même un revolver dans la pince. Les parties débridées entre êtres humains promettent beaucoup, aussi.
Sur Switch et Windows, Calappa Games / Playism, de 16 à 20€
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