Déménageurs, bûcherons ou convoyeurs : la téléréalité met en scène des travailleurs qui réalisent des exploits. Des émissions au rythme frénétique à l’opposé du voyeurisme mollasson.
Avec le Loft en France ou Big Brother ailleurs, la téléréalité s’est amusée à promouvoir une humanité déficiente. Comme s’il fallait, pour donner un nouvel essor à la société du spectacle, peupler d’une tribu primitive un territoire télévisuel encore vierge.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Tanches apathiques et losers déphasés ont alors composé une nouvelle typologie d’antihéros dont on a cru un temps que la télégénie serait proportionnelle à la candeur – abyssale. La seconde génération d’émissions, celle des Koh-Lantha ou Fear Factor, fut plus retorse.
Délocalisés sur une île-prétexte ou face à des boîtes à serpents, les candidats à l’anéantissement identitaire étaient d’emblée placés dans les conditions d’une régression psychologique et physique. Au moins leur donnait-on une chance d’affronter leurs peurs et de surmonter leurs angoisses. Mais le véritable courage, là encore, était d’accepter les règles du show et de se plier au dispositif, quitte à en ressortir émietté comme un petit Lu.
Participants molassons VS surhommes inébranlables
De ces pratiques anthropologiques nauséeuses, la téléréalité en sécrète elle-même l’anti-genre, comme s’il fallait additionner les profits en multipliant les points de vue. Aux figurines sans substance qui étalent leurs faiblesses comme un don de soi, elle substitue des surhommes au verbe rare mais à la confiance inébranlable.
Des mahousses costauds, superhéros anonymes, même pas échappés des Marvel Comics ou de quelque casting chez Barnum. Leur provenance, c’est la réalité la plus prosaïque : le monde du travail, jamais aussi glamour qu’ici.
On a donc vu fleurir depuis quelques mois sur M6, W9, Direct 8 ou TMC, une vague de docus-réalité aux titres programmatiques : Les Sauveteurs de l’extrême, Les Maçons du cœur, Les Déménageurs de l’extrême, Les Constructeurs de l’extrême, Les Bûcherons de l’impossible, Les Pêcheurs de l’extrême, Les Convoyeurs de l’extrême, etc. Les reporters eux aussi ont leur série… bien entendu extrême – un sosie de Vic McKay de The Shield, mais dans une saga plus individualiste.
Produits aux Etats-Unis ou en Angleterre, où ils sont souvent très populaires, ces docus très écrits se distinguent du flot commun par leur énergie à réenchanter le monde, filmant la répétition d’exploits quasi surnaturels défiant autant la logique (humaine), les éléments (naturels) que le temps (ennemi du capitalisme, à combattre).
Prouver que l’impossible est possible
Ainsi des charpentiers bâtissent des palais pour des déclassés en moins d’une semaine, des routiers transportent des moitiés d’usine sur la banquise de l’Arctique et des convoyeurs déplacent des phares, des manoirs ou des villes entières avec à peine plus de souci que des armoires bretonnes.
D’une série à l’autre, chaque épisode est calibré dans le moule d’une forme unique aujourd’hui partagée par tous les réalisateurs : montage effréné, voix off et interviews redondantes, plans accélérés quand l’action est trop lente. Quelque part entre le conte, le suspense du Salaire de la peur et l’intensité de 24 heures chrono, le spectateur est pris dans les rets d’une machine infernale au service exclusif de l’efficacité du récit. Lequel raconte toujours la même chose : on peut, à condition de le vouloir, repousser les limites humaines du possible et de l’improbable.
Se dessinent alors les contours d’un nouveau genre : le fantastique industriel, qui magnifie le geste ouvrier et fabrique ses propres mythes. Ici pas de people, pas de gloriole factice, pas de pleurnicheries. De la force brute en marcel et le goût de l’effort à revendre. Il fallait bien toute l’audace anglo-américaine pour survaloriser le travail au moment où plus personne n’en a. Loana et Steevy, vous pouvez vous recoucher.
{"type":"Banniere-Basse"}