Grand raconteur d’histoires, le documentariste William Karel restitue les moments clés de la maison Gallimard, créée en 1911 : une épopée littéraire et historique, incarnée par les voix d’auteurs prestigieux.
L’histoire forme pour William Karel le sujet inépuisable de son oeuvre de documentariste, comme si sa matière suffisait à nourrir son imaginaire. Rien n’est à inventer, mais tout est à restituer. Après la diplomatie ou la politique, ses thèmes de prédilection depuis vingt ans, la littérature s’invite dans son nouveau documentaire, Gallimard, le roi lire, filmmonstre qui relève un pari impossible : raconter le siècle de cette maison d’édition, autant dire cent ans de littérature tout court.
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Comment résumer en quatre-vingt-dix minutes une aventure collective peuplée de multiples destins individuels ? Qui de Proust ou de Gide, de Claudel ou de Sartre, de Sarraute ou de Malraux, de Camus ou d’Aragon, d’Apollinaire ou de Simenon, de Genet ou de Bataille, de Roth ou de Kundera… faut-il privilégier ? Personne, nous suggère Karel, c’est-à-dire tout le monde, c’est-à-dire la vie d’une maison commune où s’est écrite une page décisive de l’histoire de la littérature.
Fidèle à sa manière de travailler, Karel a interrogé quelques-uns des témoins de cette aventure (Patrick Modiano, Roger Grenier, Pierre Assouline, Philippe Sollers, Annie Ernaux, Alban Cerisier, Pierre Nora, Isabelle, Robert et Antoine Gallimard…). Mais le point d’appui central de son récit repose surtout sur des extraits de correspondances et des romans eux-mêmes (Rivière, Paulhan, Martin du Gard).
Quelques points fébriles de l’histoire de l’éditeur
Par-delà le cadre d’un récit chronologique, qui insiste sur quelques moments clés (la création en 1911 par Gaston Gallimard, l’épisode controversé de la Seconde Guerre mondiale avec Drieu la Rochelle à la tête de la NRF, les avant-gardes des années 50, l’ouverture à la littérature populaire…), Karel puise dans les archives audiovisuelles des documents précieux pour s’attarder sur quelques points fébriles de l’histoire de l’éditeur : Gide passant en 1913 à côté du manuscrit de Du côté de chez Swann, Le Voyage au bout de la nuit de Céline édité chez Denoël en 1932, sans parler de James Joyce ni de Julien Gracq… Mais comme le rappelle Pierre Nora, « le génie de Gallimard, c’est l’attrape-tout » : après leur premier livre chez un autre éditeur, beaucoup d’auteurs rejoignent la rue Sébastien-Bottin.
Outre les personnalités marquantes de la maison (Jacques Rivière, Jean Paulhan…), le film évoque aussi les querelles esthétiques et politiques qui opposent Sartre et Camus, Claudel et Céline…. Karel élargit le champ de son enquête pour tenter de saisir ce qui agite au plus profond d’eux les écrivains (une « blessure », confie Annie Ernaux).
Les noms prestigieux de la littérature, leurs visages, leurs mots et leurs voix se déploient tout au long d’un film presque trop dense pour apprécier chaque « pièce détachée » de la machine Gallimard à sa juste mesure. Karel joue sur cet effet d’accumulation pour rappeler que l’histoire de Gallimard, oeuvre collective, dépasse la seule addition de destinées particulières. Incarnée par des personnalités accrochées aux mots comme à une bouée, Gallimard a la force étrange d’un antre où chaque écrivain invente sa voie propre dans l’obscurité de ses désirs.
Jean-Marie Durand
Gallimard, le roi lire documentaire de William Karel. Lundi 21 mars, 22h10, Arte. Gallimard, 1911-2011 : un siècle d’édition, à la BNF, du 22 mars au 3 juillet
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