L’enquête sur les effets de Tchernobyl en France s’est close sur un non-lieu. Les parties civiles n’entendent pas lâcher l’affaire et iront si nécessaire jusqu’à la Cour européenne de justice.
Le nuage de Tchernobyl est-il entièrement dissipé ? Rien n’est moins sûr : « Je suis scandalisée, indignée et meurtrie » dit Michèle Rivasi, députée verte au Parlement de Strasbourg. La fondatrice de la Criirad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité) ne décolère pas après le non-lieu prononcé le 7 septembre par la cour d’appel de Paris qui met hors de cause le professeur Pierre Pellerin, 88 ans, en charge en 1986 du Service central de protection contre les rayons ionisants lorsque le panache en provenance de Tchernobyl avait, malgré les dénégations des autorités, survolé la France, en s’attardant particulièrement, sur l’est du pays, le Midi et la Corse.
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M. Pellerin était mis en examen pour « tromperie aggravée » à la suite d’une plainte d’une association regroupant 400 personnes qui souffrent de maladies de la thyroïde, selon elles en raison des émanations radioactives dispersées par la centrale ukrainienne.
« Ce que l’on présente comme une décision de justice irréprochable est en fait un oukase politique, reprend Michèle Rivasi. Ce n’est pas la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy, qui instruit cette affaire avec soin depuis 2001, qui a prononcé le non-lieu : elle a été dessaisie du dossier ! C’est la chambre d’instruction qui s’est ralliée à l’avis du procureur général, donc du parquet, aux ordres du pouvoir. »
Cette décision, qui clôt de fait l’enquête sur Tchernobyl en France, laisse un goût de cendres. Michèle Rivasi cite un rapport d’experts qui établit qu’une augmentation significative de troubles de la thyroïde a été observée en Corse à cette période.
« S’il n’y a pas de justice pour toutes ces victimes, poursuitelle, cela veut dire que nous ne sommes pas en démocratie dans le cadre du nucléaire. »
Si l’augmentation des pathologies thyroïdiennes peut toujours être sujette à caution (même s’il est avéré que l’exposition par voie respiratoire à des éléments radioactifs augmente le risque de cancer), ce non-lieu permet aussi de faire passer par pertes et profits les autres carences des autorités lors de la catastrophe de 1986.
L’arrivée du panache de Tchernobyl s’est produite à la veille du week-end du 1er mai . Les ministères sont vides, Chirac et Mitterrand sont à Tokyo pour un sommet de chefs d’Etat et le transport des éléments radioactifs prélevés dans toute la France fonctionne au ralenti. Les informations officielles sur les éventuelles contaminations alimentaires sont rassurantes (« même pour les Scandinaves, la santé n’est pas menacée », déclare Pierre Pellerin le 29 avril), mais aucun chiffre de contamination n’est communiqué durant la première semaine. Pendant ce temps, en Allemagne, la consommation de produits frais est interdite.
Depuis, de multiples études ont montré que nombre de produits de base (lait, eau, légumes) étaient contaminés, beaucoup plus que le prétendait le professeur Pellerin, tête de pont envoyée au cassepipe par les ministres en charge du dossier (Michèle Barzach à la Santé, Charles Pasqua à l’Intérieur) pour rassurer la population.
Sans trop d’illusions sur un coup de théâtre de la Cour de cassation, devant laquelle l’affaire a été portée, les plaignants de ce dossier, d’autant plus sensible que Fukushima est passé par là, en demanderont l’examen par la Cour européenne de justice. Le 12 septembre, suite à une explosion dans un centre de traitement des déchets à Marcoule (Gard), le gouvernement a vite assuré qu’il n’y avait pas de fuites radioactives. Sans doute moins bien renseignés que les cabinets parisiens, les pompiers dépêchés sur place évoquaient, eux, un « risque » de fuite radioactive.
Alain Dreyfus
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