Le compromis trouvé par le gouvernement concernant les véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC) semble ne satisfaire aucune des parties concernées. Les entreprises de VTC s’indignent de devoir attendre 15 minutes entre la commande d’une voiture et la prise en charge d’un client, tandis que les taxis continuent à se battre pour l’interdiction pure et simple de leurs concurrents.
[Mise à jour du 13 janvier 2013] Les chauffeurs de taxis manifestent ce matin dans la capitale contre la « concurrence déloyale » des véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC). Pourtant, le gouvernement a fait passé un décret il y a moins de trois semaines, censé satisfaire les taxis et rééquilibrer cette concurrence. Retour sur l’histoire d’un compromis qui ne contente, au final, aucune des deux parties.
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La salle est acquise à sa cause. Travis Kalanick s’est rendu au « Web13 », une conférence de trois jours à Paris sur les nouvelles technologies, le 10 décembre dernier, en tant que co-créateur de l’application Uber. Son idée ? Inventer une plateforme mettant en relation des véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC) avec des clients. En un clic, n’importe qui peut commander un véhicule privé, qui arrive sur les lieux en 7 minutes (en moyenne).
Interrogé devant un parterre de 2 000 participants (qui ont payé jusqu’à 2 000 euros pour assister aux conférences), l’entrepreneur est confiant. Il n’a pas de mots assez positifs pour vanter les mérites de son application « révolutionnaire », « pratique », « imaginative ». Mais dans la salle, une Française l’interpelle sur la volonté du gouvernement français de faire patienter 15 minutes les VTC entre le moment où le client a commandé un véhicule et celui où il est pris en charge. Cette volonté même qui s’est transformée en décret officiel le 28 décembre dernier. Travis Kalanick répond du tac-au-tac :
« On s’en sort bien à Paris. Ici, le service est très bon. Mais ça va tellement bien que l’industrie des taxis n’est pas contente. Et elle essaie de faire passer des lois pour interdire la concurrence. »
L’entrepreneur fustige « les accords passés dans les coulisses » entre le gouvernement et l’industrie des taxis. « Ils essaient tout simplement d’interdire toute alternative [aux taxis]« , assène-t-il. Il faut dire que la régulation de l’Etat est mal vue au pays des innovations numériques, milieu extrêmement libéral où l’entrepreneuriat fait office de Graal.
VTC et taxis : l’impossible compromis
Difficile de trouver meilleur exemple que cette guerre de véhicules pour incarner la politique actuelle du président Hollande. L’envie de satisfaire les deux extrêmes, taxis et VTC, forcés de cohabiter ensemble, semble bien présente. Sauf que la réalité empêche tout compromis convenable pour chacune des deux parties.
À l’origine du problème : la loi de « modernisation des services touristiques » qui a mis fin, en 2009, à l’activité de GR (Grande Remise et Tourisme) et instauré les VTC, soumis à des règles beaucoup plus libérales. Ces VTC ne doivent pas s’acquitter d’une licence onéreuse comme les taxis, et leurs chauffeurs ne doivent suivre aucune formation spécifique.
Si les taxis n’avaient pas réussi à faire annuler cette loi de 2009, malgré d’importants mouvements de grève, ils ont cette fois eu gain de cause après de longs mois de discussions avec le gouvernement. Cette mesure est censée les protéger d’une « concurrence déloyale ». D’après André Degon, journaliste au Point, ils demandaient « une heure, voire deux » de délai entre la réservation d’une voiture et la prise en charge d’un client.
Alain Griset, président de l’Union nationale des taxis (UNT), admet avoir essayé de négocier un délai de 30 minutes.
« Le gouvernement a respecté son engagement. Maintenant il faut voir si les VTC respectent la règle. Si ce n’est pas le cas, on peut demander aux forces de police de faire respecter ce décret, ou bien carrément attaquer en justice ceux qui ne le respectent pas. Et si jamais, on peut toujours retourner voir le gouvernement. »
VTC en colère contre taxis à moitié satisfaits
Car le décret du 28 décembre n’a pas détourné l’UNT de son principal objectif à long terme : forcer le gouvernement à revenir sur la loi qui autorise l’existence des VTC. « C’est un combat plus long », confie Alain Griset. Mais que son syndicat n’a jamais abandonné. En cause : la baisse du chiffre d’affaire des taxis en 2013. « Certes, on va avoir le droit d’augmenter les tarifs de 3,9%, mais ça sera absorbé par la hausse de la TVA, de 7% à 10%. »
Malgré un décret censé abonder dans leur sens, notamment en renforçant leur exclusivité de maraudage (le droit de prendre en charge des clients « à la volée » sur la chaussée, sans réservation préalable), les taxis sont loin d’être enchantés par ce compromis. De leur côté, les entreprises de VTC comme SnapCar s’indignent, et dénoncent fermement une « distorsion de la concurrence« , soutenus par l’Autorité de la concurrence.
Tiraillé des deux côtés, l’entourage du ministère de l’Artisanat, du Commerce et du Tourisme insiste sur la difficulté d’accommoder les deux parties : « On a dit aux taxis, ‘ok on préserve votre exclusivité de la maraude’, mais on demande 1 000 nouvelles licences ». Créer de nouvelles licences : voilà de quoi agacer lesdits taxis. En augmenter la quantité revient à en faire baisser le prix, alors que les chauffeurs comptent sur la revente de leur licence en fin de carrière pour financer une partie de leur retraite. A Paris, une licence coûtait environ 240 000 euros en 2012.
Pas d’autres solutions modérées
D’autres solutions plus radicales étaient évidemment envisageables. La plus extrême, souhaitée par les taxis, est de revenir sur la loi de 2009 et interdire tous les VTC. Refus évident de ces derniers, mais aussi du ministère. « L’objectif du gouvernement n’est pas de mettre fin aux VTC. On ne veut pas tuer une activité qui représente des emplois. Que ferait-on de ceux qui ont déjà acheté des voitures, par exemple ? », confie l’entourage de la ministre Sylvia Pinel.
Une solution aurait été de ne toucher à rien et faire jouer la concurrence entre les taxis et les VTC. Refus des taxis, qui se sentent trompés sur le marché de la réservation préalable.
Au lieu de trancher fermement en faveur de l’un ou de l’autre, le ministère de l’Intérieur et celui de l’Artisanat, du Commerce et du Tourisme, ont finalement choisi la solution la plus tiède, satisfaisant quasiment aussi peu l’une partie que l’autre. Un numéro d’équilibriste aussi compliqué à exécuter que décevant dans sa réalisation.
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