La gestion par l’Etat de la crise des Antilles est catastrophique, selon l’élue de Guyane. Qui dénonce les situations de monopole dans la grande distribution et l’industrie pétrolière.
Vous critiquez fortement la gestion de l’Etat concernant le conflit social des Dom-Tom. Pourquoi ?
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Je suis même gentille. Je ne tire pas à boulets rouges sur un gouvernement qui a été silencieux pendant un mois. Un mois durant lequel un territoire tout entier est en grève générale sans le moindre incident. Au bout de douze jours, Yves Jego, le secrétaire d’Etat chargé de l’Outre-mer, se présente pour conduire les négociations et s’engage publiquement, quoique verbalement, sur la plate-forme de revendications du LKP, notamment sur les bas salaires. Mais il est rappelé et désavoué par le gouvernement. Michèle Alliot- Marie, ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des Collectivités territoriales, n’a toujours pas dit un mot. Le gouvernement n’a pas fait face à ses responsabilités.
Lui imputez-vous le durcissement du conflit ?
Il y a une dialectique entre la non-réponse de l’Etat et le durcissement du mouvement. Il n’y a qu’en outre-mer qu’un conflit social peut durer – celui de Guyane date de novembre, décembre – et s’étendre sur l’ensemble du territoire sans que l’Etat se sente obligé de réagir. Pourtant, nous avons un gouvernement extrêmement interventionniste. Un mouvement social appelle des négociations et des partenaires. Et face au reniement de la parole d’Etat, il faut expliquer que ce n’est pas une kermesse et envoyer des signaux. Entendonsnous, avant le 16 février, jour où Alliot-Marie donne l’ordre aux gendarmes de charger, il n’y a pas eu le moindre incident.
Les deux parties ont fini par négocier, notamment sur les bas salaires. Cette question vous semble-t-elle suffisante ?
Ce n’est pas seulement une question de vie chère. Les économies des territoires d’outremer ne sont pas viables. Il faut sortir de ces économies de comptoir, extrêmement dépendantes de l’importation, créer les conditions de création de richesses sur place et une meilleure redistribution. Pour cela, il faut partager les responsabilités, élargir l’espace de décision au local. Le président de la République a décidé de lancer des états généraux fin mai. Il ne faut pas qu’il en fasse un gadget. On peut se demander s’il a bien pris la mesure des demandes, des difficultés et du caractère élaboré des réponses à apporter.
Vous demandez à l’Etat d’installer la transparence et de mettre fin aux pratiques frauduleuses. Visez-vous particulièrement l’industrie pétrolière ?
Pas seulement. Concernant l’industrie pétrolière, il y a des pratiques qui méritent d’être examinées par la justice. Dans la grande distribution, il y a des abus de position dominante et de concentration. Une étude du CNRS montre que leurs marges vont de 43 à 173 %. Cela ne correspond pas au prix du transport. Qu’on nous explique ! L’Etat a demandé à l’autorité de la concurrence de faire une enquête. Il ne faut pas en rester là. Je ne dis pas que l’Etat est complice mais aujourd’hui, il sait. Il ne peut plus rester silencieux et ne pas agir.
Vous appelez l’Etat à porter plainte contre deux entreprises en position de monopole, dont Total est le principal actionnaire. L’Etat peut-il porter plainte contre Total ?
Il doit nous dire si Total est supérieur à l’Etat. Il doit faire respecter l’Etat de droit. Il le fait tous les jours avec la jeunesse désoeuvrée, sans formation, ni emploi, dès qu’elle pratique un petit vol, une incivilité ou fait trop de bruit la nuit. Je ne vise pas une société en particulier. Les élus guyanais sont venus le 22 octobre à Paris pour signaler que la fixation des prix de la Sara (unique fournisseur de carburant aux Antilles et en Guyane) posait problème. Sans résultat. Le conflit en Guyane se déclenche deux semaines après. L’Etat finit par lancer une mission d’inspection quand la Guadeloupe fait entendre sa voix. Elle confirme ce que nous avons dit dès octobre.
Pourquoi insistez-vous sur le fait que ce conflit n’est pas racial mais social ? Premièrement, j’y tiens pour des raisons éthiques. Je ne divise pas le monde en noir et blanc. Ce monde binaire était le monde de l’esclavage. Je ne veux pas que les gamins grandissent dans une société où l’on juge les gens sur leur couleur. Deuxièmement, parce que ce n’est pas la réalité. Cette question a surgi chez des journalistes et des chroniqueurs qui n’ont pas bougé de métropole. Ce sont des simplifications rapides. Il y a ce goût du raccourci et peut-être une volonté, consciente ou non, de disqualifier une revendication sociale dure, intransigeante. Nos sociétés sont multiculturelles malgré la persistance d’injustices et d’inégalités ethnoculturelles.
Que pensez-vous de la façon dont Elie Domota, le leader du LKP, mène la contestation ?
L’Etat devrait se rendre compte que le LKP est une chance. Elie Domota est quelqu’un de très responsable, rigoureux et exigeant. Au début des négociations, il y a eu un accrochage avec le président du Medef de Guadeloupe, Willy Angèle, qui a fait une déclaration assez idiote en disant que cela allait finir comme les Hutus et les Tutsis. Elie Domota a dit que personne ne contestait la qualité de Guadeloupéen de personne. Il leur a même dit : “Je vous parle sans haine, justement pour qu’on n’en arrive pas à la haine.”
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