Après Prison Valley, le journaliste David Dufresne signe un épais témoignage sur l’affaire de Tarnac, tel qu’il l’a vécue depuis son commencement. A base d’interviews, procès-verbaux et impressions.
David Dufresne l’a prise à cœur, cette histoire de Tarnac, depuis plus de trois ans. Comme nous tous, journalistes ayant suivi l’affaire que Dufresne souligne par l’italique, tout au long de son bouquin. Pour y avoir participé puis s’en être éloigné, il sait parler de la course médiatique, de ses règles plus ou moins loyales, un peu à la façon de Laurence Lacour dans Le Bûcher des innocents.
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Tarnac l’a empêché de dormir la nuit, Tarnac lui a fait faire des kilomètres, des allers-retours en bagnole et en esprit. Il le raconte, sans s’interdire la première personne. Le genre de dossiers où, dans les films, le pisse-copie solitaire finit par dessiner sur les murs en fumant plein de clopes, une bouteille de whisky demi-bue posée à côté de son chat.
Sauf qu’à Hollywood, le bougre tenace résout toujours l’énigme avant le générique. Là, Dufresne sait dès le départ qu’il ne trouvera pas “la” solution, la clé de l’énigme. Il ne confondra pas le saboteur de caténaires en série, ni ne prouvera la “manipulation politique” dénoncée par les avocats de la défense. Il va juste essayer de comprendre. Il en fait une affaire personnelle, comme, l’explique-t-il, tous les protagonistes du dossier.
Pour achalander son Magasin général, le journaliste a rencontré tous ceux qu’il a pu atteindre. Il raconte leurs anecdotes et leurs points de vue irréconciliables, chacun de son côté de la ligne de front. Juge contre avocats, parents contre accusateurs, police contre mis en examen, police contre police. L’auteur les laisse parler, ne tranche pas, quitte à ressortir avec plus de questions qu’en entrant. Il met un point d’honneur à ne pas faire semblant de savoir.
Affaire personnelle, aussi, pour les mis en examen, qui ont expérimenté chacun à leur manière la prison et/ou le contrôle judiciaire, les questions absurdes des flics qui fouillaient leurs bibliothèques et des journalistes qui fouillaient leurs poubelles. L’exposition de leur personne, subie puis assumée, quitte à essuyer les procès en “peoplisation”.
Affaire personnelle pour le juge d’instruction et les policiers, sans cesse blessés par les piques contre leur enquête, les avocats énervants, les journalistes innocentistes, les interrogés ingouvernables. Alors qu’eux, professionnels, ont le droit et le devoir d’arrêter, de mettre en garde a vue, mais n’y adjoignent pas le privilège de la parole. Dufresne leur donne l’occasion de s’expliquer, sans bien savoir si ces flics viennent se livrer en cachette ou en service commandé.
“Je suis dans une affaire qui me dépasse”, a dit Julien Coupat à sa mère, citée dans le livre. L’affaire d’une époque, ajoute Dufresne. Quelle époque? Celle où, parmi 4000 “actes de malveillance” constatés chaque année sur les voies SNCF, quelques crochets sur des caténaires se transforment en affaire terroriste parce qu’ils seraient animés d’une volonté politique.
Celle où le refus de répondre à la police, le silence face à l’injonction de transparence, est déjà une faute. Où le dossier transforme la discrétion en clandestinité, l’anonymat en dissimulation. En disséminant des extraits de la procédure dans son récit, l’auteur permet par moments de la saisir, l’époque, à travers une question des enquêteurs :
“Vous êtes âgé de 27 ans. Tous les jeunes de votre génération ont été élevés dans un monde où la technologie domine, télévision, informatique, téléphonie mobile. Or vous nous avez déclaré ne pas posséder de téléphone portable. Bien que ce soit évidemment votre droit le plus entier, pourquoi ce choix?”
Procès-verbal D427, extrait de Tarnac, Magasin Général.
Dufresne montre à quel point le pouvoir politique s’est saisi de cette affaire, pour “détecter la menace” avant qu’il ne se passe quoi que ce soit, intervenir pour empêcher. Et communiquer.
Le récit, pour qui s’est penché sur l’affaire, qui a passé du temps à y perdre son temps, se lit d’une traite. Pour Dufresne, au bout de trois ans d’enquête, ce livre a des allures de libération. Il condamne pourtant ses confrères à continuer d’errer dans le dossier. Issus de boutiques concurrentes, nous avons parfois fraternisé dans ce passe-temps commun : Tarnac, question personnelle et question d’époque.
Tarnac, magasin général, David Dufresne, Calmann-Lévy, 7 mars 2012.
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