Ce vendredi 23 janvier, « Le Grand Échiquier », l’émission culte de Jacques Chancel, était de retour le temps d’une soirée exceptionnelle en hommage au journaliste disparu le 23 décembre dernier. En chef d’orchestre impeccable, un de ses fervents admirateurs, Frédéric Taddeï. Il revient pour nous sur le succès de l’émission.
Dans son Dictionnaire amoureux de la télévision (éd. Plon, 2011), Jacques Chancel ne tarissait pas d’éloge à l’égard de Frédéric Taddeï :
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« Il est une chance pour la télévision et un cas pour ceux qui tentent de le découvrir. […] Voilà un animateur qui sait de quoi il parle et qui laisse parler. Le succès de ‘Ce soir (ou jamais!)’ tient à son exigence de vérité. […] Que faut-il attendre de ceux qui viennent nous surprendre sur le petit écran ? Une parole non convenue, de l’audace, de la modestie et, pourquoi pas, du panache ».
L’animateur, qui vouait une admiration sans bornes à Jacques Chancel, s’est montré fidèle à ce que cet interviewer de génie appréciait dans la télévision. Hier soir, il lui a rendu un hommage vibrant en présentant exceptionnellement Le Grand Échiquier sur France 2, qui avait disparu des programmes en 1989. Le résultat a été salué par les téléspectateurs : au total ils ont été 1 143 000 à suivre l’émission à partir de 22h45, soit 13,4 % de part d’audience. A tel point que certains sur Twitter ont fait part de leur souhait qu’elle soit programmée de nouveau régulièrement sur France 2. Frédéric Taddeï revient avec nous sur cette soirée exceptionnelle, et ses potentielles suites…
Comment est née l’idée de refaire Le Grand Échiquier ? A-t-elle germé suite au décès de Jacques Chancel le 23 décembre dernier ?
Frédéric Taddeï – Non, c’était une idée de Jacques Chancel un jour où je l’interviewais dans Ce soir (ou jamais!) sur son Dictionnaire amoureux de la télévision, dans lequel il m’avait consacré une entrée très gentille. Au milieu de l’interview il m’avait dit : “Pourquoi vous ne reprenez pas Le Grand Échiquier ?”. C’est donc lui qui aurait en fait voulu que Le Grand Échiquier revienne, et que j’en sois l’animateur. Mais à l’époque j’avais une émission quotidienne. Et cette année est venue sur le tapis l’idée de faire un Grand Échiquier à Jacques Chancel, dont il aurait été l’invité principal, et que j’allais animer. Finalement il nous a quitté juste avant Noël, nous avons donc décidé de faire un Grand Échiquier en son honneur, un peu dans la précipitation donc, et voilà ce que ça a donné.
Quelle a été la réaction des téléspectateurs ?
C’est simple, l’audience a battu celle de TF1. Le Grand Échiquier a battu l’émission d’Arthur, qui était à la même heure sur TF1.
N’était-ce pas un pari osé ?
Le Grand Échiquier faisait jeu égal à l’époque avec TF1, même quand un match de football était diffusé en face. Hier soir, l’émission a de nouveau fait jeu égal avec TF1. C’est Jacques Chancel qu’il faut féliciter pour cela, pas moi.
Sur Twitter des téléspectateurs ont fait part de leur souhait que cette émission soit reprogrammée régulièrement. Est-ce possible ?
Il faudra poser la question à France Télévision. C’est sûr que vu le succès d’audience et d’estime – ce dernier étant aussi important que le succès d’audience -, ça va jouer dans l’idée que c’est une émission qui est toujours d’actualité. C’est ce qui est amusant : a priori Le Grand Échiquier est une émission d’un autre temps… Par exemple, il y a énormément de musique live, alors que n’importe quel professionnel de la télévision vous dira aujourd’hui que la musique fait fuir l’audience.
Qui plus est de la musique classique…
En effet c’était non seulement de la musique live mais en plus de la musique classique, et pourtant c’est un succès. Donc évidemment cela fait réfléchir. Je pense que c’est une victoire posthume de Jacques Chancel, qui a toujours aimé la télévision qui prend des risques, qui ose faire des choses. On l’a fait hier soir et ça a payé.
En 2011 dans Ce soir (ou jamais!) Jacques Chancel vous disait qu’il fallait que la télévision prenne des risques, et qu’un animateur ait de l’audace. Prendre des risques à la télévision aujourd’hui, en quoi cela consiste ?
Il dit tout dans l’entrée qu’il me consacre dans son Dictionnaire amoureux de la télévision. Un animateur qui prend des risques, c’est un animateur qui ne se contente pas d’appliquer les recettes déjà éprouvées. Je sais qu’il aimait beaucoup Ce soir (ou jamais!), il l’aimait parce que c’est une émission qui ne ressemblait pas aux émission culturelles qui l’avaient précédée, et qu’a priori quand elle est née tout le monde a dit que ça ne marcherait jamais. Elle en est pourtant à sa neuvième saison. Il aimait aussi le fait que j’invite des gens qu’on ne voyait pas ailleurs. Le Grand Échiquier était un mélange de stars internationales et de jeunes talents, dans tous les domaines, ce que Ce soir (ou jamais!) reproduit d’une autre façon. Enfin nous sommes tous deux des interviewers : je crois qu’il se reconnaissait assez dans ce que j’avais envie de faire. Et il savait l’admiration que je lui vouais.
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Votre émission Le Tête-à-tête sur France Culture était en effet un hommage à Radioscopie.
Oui. Regarde les hommes changer sur Europe 1 en était déjà un. Quand je l’ai invité au Tête-à-tête, il a dit : “C’est la première fois que je refais exactement le même format qui était le mien du temps de Radioscopie”. C’est-à-dire une heure sans interruption, sans publicité, sans extraits, alors que sur Europe 1 je mettais des extraits, des chansons quand j’invitais des chanteurs, et il y avait des publicités. Sur France Culture il n’y avait plus qu’un long entretien d’une heure entre mon invité et moi, et Chancel était tout heureux d’être dans son format.
C’est une satisfaction pour vous que le succès de l’émission d’hier remette en cause beaucoup d’idées communément admises sur la télévision, sur l’audience ?
Oui, c’est la victoire posthume de Jacques Chancel. C’est-à-dire qu’il faut oser, il ne faut pas avoir peur de faire des choses, il faut prendre des risques. C’est ça la télévision, ou du moins la télévision qu’on peut faire avec panache, pour reprendre le terme qu’il utilisait dans son dictionnaire. C’est ainsi qu’il concevait la télévision : avec panache.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
Le replay de l’émission ici.
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