L’édito de Frédéric Bonnaud.
Il faut lire le programme de Syriza à la rubrique “immigration” pour comprendre l’ampleur du séisme grec. Pour comprendre que le mouvement qui a remporté les élections avec 36 % des suffrages et manqué la majorité absolue au Parlement de deux sièges est aussi celui qui refuse absolument la rhétorique de l’immigré comme bouc émissaire de la misère, dans un pays où les néonazis d’Aube dorée restent la troisième force politique, avec un peu plus de 6 % et 17 députés.
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Syriza n’a rien lâché
Dans sa quête de la majorité absolue, Syriza aurait pu être tenté d’amoindrir un peu son programme et cesser de prôner la facilitation du regroupement familial, la naturalisation massive des étrangers et de leurs enfants, l’accès plein et entier aux soins et à l’éducation, et le droit de vote et l’éligibilité des immigrés. Dans un pays comme la Grèce, pauvre et ouvert aux quatre vents, avec un corps social à l’agonie, massacré par une politique d’austérité ouvertement punitive, ce type de mesures n’est pas forcément gage de triomphe électoral, on le comprendra aisément. Eh bien, Syriza a tenu bon, n’a rien lâché, et les Grecs l’ont quand même porté au pouvoir.
Dans son éditorial du Monde diplomatique de février, Serge Halimi cite Vassilis Moulopoulos, conseiller en communication d’Aléxis Tsípras : “Si Syriza avait été moins intransigeante sur la question de l’immigration, on aurait déjà obtenu 50 % des voix. Mais ce choix est l’un des seuls points sur lequel nous sommes tous d’accord !” Ah ! comme il va être délicat de coller l’étiquette infamante de “populisme” à ces internationalistes sourcilleux…
La réinvention grandeur nature de la démocratie
Personne ne sait ce qui va se passer maintenant mais tout le monde a compris que plus rien ne serait comme avant. Syriza, c’est non seulement l’inverse du “There is no alternative” néolibéral mais aussi la réinvention grandeur nature de la démocratie, pas moins. Et dire qu’il a fallu que ce soit la Grèce, la Grèce piétinée et humiliée, mais aussi la Grèce éternelle, qui nous donne cette leçon d’histoire et de politique… Leçon qui pourrait hâter la décomposition des vieux partis sociauxdémocrates, qui paraissent encore plus sourds et aveugles, tout à fait inaptes à relever le défi du fascisme qui vient, plus pressant en France qu’ailleurs.
Hollande n’a pas dévié de sa ligne Merkel
De ce point de vue, on peut regretter comme l’économiste Guillaume Duval que François Hollande n’ait pas saisi la balle grecque au bond pour commencer de tenir ce qu’il avait tant promis. Mais non, plus contrarié qu’autre chose par l’incongru succès de Syriza, Hollande n’a pas dévié de sa ligne Merkel et continue de miser sur l’irrésistible montée de Marine Le Pen et les désunions de l’UMP pour espérer une très improbable réélection.
Comme les autres dirigeants européens, il a choisi la pensée magique et attend que l’anomalie Syriza disparaisse d’elle-même en rentrant dans le rang de l’orthodoxie économique. Mais les Grecs ont l’air de tenir bon – alors que les Espagnols pourraient bien finir l’année comme elle a commencé, en portant Podemos au pouvoir. Syriza est un spectre qui n’a pas fini de hanter l’Europe, le spectre de la souveraineté populaire retrouvée.
Cette semaine dans les inRocKs, un dossier spécial consacré à Syriza, le nouvel espoir grec.
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