Depuis la banlieue parisienne, Amrou, cyberdissident syrien, se bat pour informer le monde des exactions du régime de Bachar al-Assad.
La tension se lit dans les veines de son front. Mince, nerveux, Amrou tape à toute vitesse, avec deux doigts, sur son clavier d’ordinateur. Arrivé en France il y a deux ans pour poursuivre ses études, ce Syrien de 28 ans s’est installé il y a quelques mois dans l’appartement d’un ami, en banlieue parisienne. L’un de ses deux téléphones sonne : un proche, resté en Syrie, est en train de diffuser en direct depuis Damas des images d’un rassemblement, via le site Bambuser. Aussitôt, Amrou fait suivre l’info.
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Sur son compte Skype, une trentaine de contacts : des militants de confiance mais aussi des responsables de chaînes internationales – Al-Jazeera, Al-Arabiya, CNN… Il se lève, se passe les mains sur la tête. Jette un oeil à la grande télévision qui diffuse des images des manifestations. Se rassoit. L’ordinateur émet des bips à mesure que les messages s’accumulent.
Il y a encore quelques mois, Amrou, comme des dizaines d’autres jeunes militants installés en Syrie ou à l’étranger, essayait par tous les moyens de faire passer sur les chaînes étrangères une vidéo ou un témoin. Aujourd’hui, la bataille est celle du direct.
« Notre boulot a beaucoup évolué, raconte-t-il. Grâce au live, nous maîtrisons l’image de la révolution. D’ailleurs les médias exigent désormais des vidéos de bonne qualité. Et les Syriens attendent eux aussi de voir ces images à la télévision. »
« Pour qu’Al-Jazeera diffuse nos images, on était obligé de pleurer au téléphone »
Dès les premières heures des révolutions tunisienne, égyptienne puis lybienne, Amrou a espéré que le mouvement gagnerait la Syrie – un pays qu’il dit avoir quitté « sans verser de larmes ». « Je ne dormais pas, se souvient-il. J’attendais, j’essayais de contacter des militants sur place… » Mi-mars, le mouvement démarre. En France, Amrou participe à des manifestations. Il organise un débat à l’Assemblée nationale, est reçu au Quai d’Orsay, mais refuse de rencontrer Bernard-Henri Lévy. « J’essayais de parler de la position de Paris à l’égard de la Syrie, mais ce qui se passe ici est tellement éloigné de la réalité. »
Il comprend qu’il sera plus productif autrement.
« Les premières semaines, Al-Jazeera n’était pas de notre côté. Cette chaîne est tellement importante dans le monde arabe ! On a été obligés de pleurer au téléphone. On leur disait que puisqu’ils n’envoyaient pas de journalistes sur place, il fallait qu’ils diffusent nos images. »
Dans le salon, quatre ordinateurs sont installés. Il y en a un cinquième dans la chambre, près du lit. Juriste de formation -il prépare une thèse en droit bancaire-, Amrou a appris les bases du cyberactivisme sur le tas. « Je ne savais pas que l’on pouvait recevoir un document directement sur son adresse IP, organiser des vidéoconférences avec vingt personnes, partager son écran, envoyer des fichiers FTP… Je suis bien content d’avoir appris tout ça », dit-il dans un sourire.
« Ce n’est pas Facebook qui se prend une balle dans la tête »
Il relativise pourtant le rôle d’internet : l’important, ce sont les Syriens qui manifestent depuis cinq mois.
« Ce sont eux qui ont poussé Barack Obama ou Nicolas Sarkozy à réagir (ils ont appelé au départ de Bachar al-Assad – ndlr), lâche Amrou. Et surtout, ce n’est pas Facebook qui se prend une balle dans la tête, c’est un brave gars qui est descendu dans la rue. »
Parfois, bien sûr, il se décourage. Près de 2 200 civils ont été tués, selon l’ONU. Des amis sont morts, d’autres ont disparu. Fin août, le président syrien a répété, dans une interview à la télévision d’Etat, qu’il ne quitterait pas le pouvoir. Malgré tout, Amrou veut croire que le peuple va bientôt finir par l’emporter, grâce notamment aux images qui passent en boucle, plusieurs heures par jour, sur Al-Jazeera. « Bachar al-Assad perd le contrôle », assure-t-il, les yeux rivés à l’écran.
Perrine Mouterde
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