Si une intervention américano-française semble se profiler en Syrie, les doutes et périls restent nombreux. L’expert en conflits irréguliers Gérard Chaliand(1) analyse la situation.
La guerre annoncée par les États-Unis et la France contre la Syrie semble imminente, quels facteurs pourraient encore l’entraver ?
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Gérard Chaliand – Le président Obama a d’abord des problèmes domestiques. L’engagement indirect en Libye lui a coûté un ambassadeur et il ne tient pas à s’engager à la légère, l’aval du Congrès lui paraît indispensable. Les différentes accusations d’utilisation d’armes chimiques le poussent à une intervention aussi limitée que possible. Son intervention sera « graduée ». En effet, pousser un régime aux abois dans ses derniers retranchements dans un contexte international complexe peut provoquer des réactions intempestives mettant en péril l’allié israélien, qui ne restera pas, dans cette hypothèse, sans réagir. Ce qui impliquerait une crise grave.
Pourquoi les gouvernements occidentaux n’ont-ils pas attendu les conclusions de la mission de l’ONU pour faire part de leurs certitudes ?
Les témoignages français et britanniques ont convergé. Sans doute l’inspection des Nations unies aurait-elle pu être mandatée plus tôt. Les gouvernements occidentaux ont beaucoup parlé et peu agi dans un contexte complexe où les forces de l’insurrection ne paraissent pas avoir les mêmes objectifs. Le poids des salafistes est devenu de plus en plus important. Aurait-il fallu agir avant ? La question se pose.
La plupart des informations concernant la culpabilité de Bachar al-Assad émane des services secrets occidentaux. Peut-on leur faire confiance ?
Dans les guerres précédentes, pour ne pas citer celle d’Irak en 2003, les manipulations n’ont jamais manqué, d’un côté comme de l’autre. C’est souvent longtemps après qu’on apprend qu’il s’est agi d’un événement provoqué. Prenez, par exemple, au Vietnam, l’inciden, en 1964, du golfe du Tonkin avec le USS Maddox, c’était un montage (en 2005, la NSA a déclassifié des documents secrets expliquant que l’attaque de destroyers américains, dont le USS Maddox, qui a participé au déclenchement de la guerre du Vietnam n’a jamais existé – ndlr).
Une autre nouveauté n’est-elle pas le scepticisme des opinions publiques quant aux informations émanant de leurs services secrets ?
Depuis WikiLeaks et les révélations d’Edward Snowden, il n’est pas étonnant que le public s’aperçoive que, même dans les démocraties, la transparence est un mythe. La manipulation, c’est-à-dire la persuasion de masse, va de pair avec la démocratie dans la mesure où, fut un temps, il suffisait d’imposer. C’est ce que l’on continue de pratiquer dans des régimes non démocratiques.
D’autant que si Bachar al-Assad dispose bien de stocks importants d’armes chimiques, des rebelles avaient déjà été épinglés avec de telles armes…
Il est difficile de déterminer si l’insurrection a usé ou non d’armes chimiques. La réponse appartiendrait normalement à la commission ad hoc des Nations unies. Difficile de répondre à ce type de calcul. On estime généralement qu’il y a une ligne rouge à ne pas franchir parce que les conséquences de l’utilisation des armes chimiques sont beaucoup plus grandes que celles des armes traditionnelles.
Les Américains ont-ils, à l’image des Russes, des intérêts en Syrie ?
Les Américains n’ont pas d’intérêts directs en Syrie. C’est davantage leur position globale au Moyen-Orient qui peut être en jeu. On aurait tort de croire, depuis l’adoption de la nouvelle stratégie axée sur l’Asie-Pacifique, que l’on peut, sans les États-Unis, imposer un ordre qui leur soit défavorable. Les Russes, comme les Chinois, ont été floués sur la Libye : le Conseil de sécurité s’était engagé à protéger les populations, non à évincer le colonel Kadhafi. En bloquant l’ONU, la Russie démontre que hors de son « proche étranger », elle reste un acteur majeur capable de défendre un allié.
Quand la Chambre des communes empêche David Cameron de partir en guerre de son propre chef, le système politique britannique ne démontre-t-il pas sa maturité par rapport au système français où le chef de l’État décide seul ?
La Constitution qui est la nôtre a été taillée par le général de Gaulle dans les circonstances difficiles de la guerre d’Algérie. Après avoir été critiquée par François Mitterrand (cf. Le Coup d’Etat permanent), celle-ci lui a tout de même convenu pendant deux mandats. En effet, notre exécutif dispose de pouvoirs considérables. Un président français en a bien plus qu’un président des États-Unis. Quant à notre Parlement, il est loin d’avoir les pouvoirs de celui de la Grande-Bretagne dont la démocratie au cours des deux derniers siècles a été mieux assise.
Vous disiez en avril que, tactiquement, les Américains n’interviendraient pas en Syrie » avec leurs bottes ». Vous le pensez toujours ?
Je continue de penser qu’il n’y aura pas d’intervention au sol. Selon toute probabilité, le coup de semonce sera tiré par la flotte américaine avec des missiles et celle-ci sera graduée. Ensuite, selon les réactions du pouvoir syrien, ces frappes pourront être davantage appuyées, ce qui peut avantager les opposants, mais peut aussi amener l’Etat syrien à entamer une négociation. L’avenir dira comment ce bras de fer va se dérouler.
1. dernier ouvrage paru Vers un nouvel ordre du monde (Seuil), avec la collaboration de Michel Jan
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