La mort de deux journalistes occidentaux, dans la ville rebelle de Homs, témoigne une fois de plus de la volonté du régime de Bachar el-Assad de mettre fin à la couverture médiatique du soulèvement syrien.
Un peu plus d’un mois après le décès du grand reporter français Gilles Jacquier, le 11 janvier, dans des circonstances encore inexpliquées, la profession ressort ses habits de deuil. Mercredi 22 février, deux journalistes occidentaux ont trouvé la mort dans la ville de Homs, épicentre de la contestation syrienne.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le jeune photographe français Rémi Ochlik et Marie Colvin, reporter américaine du journal britannique Sunday Times, ont péri dans le pilonnage du quartier de Baba Amr. Un obus s’est abattu sur le bâtiment qui les abritait, transformé en centre de presse de fortune. Alors qu’ils essayaient de prendre la fuite, les deux journalistes ont été touchés mortellement par des tirs de roquettes.
D’autres journalistes ont été blessés dans l’attaque. Edith Bouvier, grand reporter au Figaro, souffre d’une double fracture à la jambe, et demande dans une vidéo à être évacuée « au plus vite ».
http://youtu.be/0hDmhRh6KpQ
William Daniels, photographe pour l’agence Panos Pictures, qui l’accompagnait, et Paul Conroy, photographe pour le Sunday Times, ont également été légèrement touchés. Intransportable, Edith Bouvier est toujours coincée à Homs, en raison du refus des autorités de laisser passer une ambulance pour l’évacuer, tout comme Paul Conroy. William Daniels est resté à son chevet pour l’épauler.
Ces victimes s’ajoutent à la mort du citoyen journaliste Rami al-Sayyed, survenue la veille au soir. Selon l’un des amis du défunt, Hadi Abdallah, un obus est tombé sur sa voiture alors qu’il transportait des blessés et des morts vers l’hôpital de campagne de Bab Amr. Il est mort deux heures et demie plus tard, victime d’une grave hémorragie. Une vidéo à peine soutenable le montre meurtri, dans les derniers instants de sa vie.
Rami al-Sayyed était l’un des témoins majeurs du siège de la ville de Homs. Sur son profil Youtube, Syriapioneer, il a été l’un des premiers à diffuser des vidéos de la réalité au quotidien dans la ville rebelle. Les images sont dures, parfois d’une violence extrême.
En raison des obstacles imposés aux journalistes professionnels, le rôle de ces observateurs s’avère primordial. Début février, un autre citoyen militant qui collaborait avec l’AFP, « Omar le Syrien », de son vrai nom Mazen Tayyara, avait été tué lors de bombardements à Homs.
« S’ils vous trouvent, ils vous tueront »
Jean-Pierre Perrin, envoyé spécial de Libération, a passé 17 jours dans la ville rebelle. Il a vécu ce chaos qui règne à Homs, bombardée de l’aube jusqu’au soir et cernée par des snipers « qui tirent sur tout ce qui bouge ». Le centre de presse clandestin, qui permet d’informer le reste du monde sur le conflit syrien, a déjà dû déménager une première fois, car il se trouvait régulièrement visé. L’antenne satellitaire du bâtiment est criblée par les balles de snipers. Pour Jean-Pierre Perrin, les journalistes figurent parmi les cibles privilégiées de l’armée syrienne.
« Si le centre de presse est détruit, on n’aura plus aucune information venant de Homs, explique le grand reporter. L’armée syrienne recommande de tuer tout journaliste qui mettra un pied sur le sol syrien. »
Il y a quelques jours encore, le journaliste de Libération était aux côtés de Marie Colvin:
« On nous avait conseillé de quitter la ville de toute urgence, en nous disant : « S’ils vous trouvent, ils vous tueront. » Je suis donc parti avec la journaliste du Sunday Times, mais elle a voulu y retourner quand elle a vu que l’offensive n’avait pas eu lieu. »
Plusieurs éléments corroborent la thèse de l’exécution sommaire et délibérée. Selon le quotidien anglais The Telegraph, une communication entre des officiers de l’armée syrienne, interceptée par les services de renseignement libanais, a révélé que des ordres directs avaient été donnés pour cibler le centre de presse.
Dans l’hypothèse où les journalistes seraient liquidés, les Syriens étaient tenus de rapporter qu’il s’agissait d’un accident, survenu au cours de combats avec des groupes terroristes. Une version partagée par Rami Abdel Rahmane, chef de l’Observatoire syrien des droits de l’homme:
« Des avions de reconnaissance planent constamment au-dessus de Homs. Ils ont probablement capté des signaux indiquant des transmissions par satellite », a-t-il précisé à l’AFP.
La porte-parole du Conseil national syrien (CNS), Bassma Kodmani, n’est pas dupe. A l’annonce de la mort des deux occidentaux, elle a accusé le régime de tout mettre en œuvre pour chasser les journalistes de Homs:
« Après avoir autorisé la présence de journalistes étrangers, contraint et forcé, le régime leur rend désormais la vie dangereuse pour les faire fuir. Bachar el-Assad veut réaliser ce que son père a fait à Hama, il y a trente ans, et ne veut pas de témoins », ajoute la porte-parole du CNS. « Nous avons désespérément besoin de la présence des journalistes étrangers ».
Sans eux, la population serait livrée à elle-même et la communauté internationale ignorerait tout des horreurs perpétrées à Homs.
{"type":"Banniere-Basse"}